Le mot "visage" tel que Lévinas l'utilise rompt avec les usages courants de la langue. Il ne renvoie pas ou pas seulement à une forme visible et reconnaissable (Gestalt). Il faut le lire comme un nom propre qui compose un accord nouveau, inouï, entre le fini et l'infini. Avec lui se dit la justice, telle qu'elle aura déjà été reçue avant toute révélation.
Dans le visage d'autrui, l'infini se révèle sans qu'aucun contenu dogmatique, aucune rationalité, aucune démonstration philosophique ne soient nécessaires. Son altérité pure et nue, dépouillée de toute visibilité, qualité, prédicat ou propriété effective, suffit pour que j'entre en relation avec lui. Alors la totalité se brise, l'extériorité se manifeste. Il est en même temps le révélé et le révélateur.
Nous accueillons d'abord le visage dans la douceur de la figure féminine. Il parle, il est langage et discours. Il ne resplendit pas comme une image, mais comme la production du sens. Avant toute interrogation, il est désir.
Sa nudité est dénuement, misère. Elle témoigne de sa condition d'étranger. Sa voix me met d'emblée en rapport avec un autre que je dois accueillir avec droiture et responsabilité, en reconnaissant son privilège. Par son visage, toute l'humanité me regarde, me rappelle à mes obligations et me juge. Il dépasse l'idée de l'autre en moi, et je suis mis en question.
Le visage s'exprime, et cette expression est une révélation. Dans son épiphanie, il se refuse à toute possession. On ne peut le nier, sauf par le meurtre. Il m'invite à une relation sans commune mesure avec les pouvoirs.
Son unicité d'étant prévaut sur toute généralité de l'être; il est transcendé par l'amour.
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