Jacques Derrida prélève le mot "colonne" dans des textes de Philippe Sollers. Il le cite en élargissant sa polysémie : colonne de chiffres ou de lettres, colonne de paroles, tour de Babel (colonne de langues), phallus, colonne d'air, de souffle ou de feu (ce pourrait être aussi la nuée biblique). La colonne est textuelle. Comme le langage, elle était là avant moi. Elle plonge dans l'En Sof (dieu inaccessible). La phrase qui m'attendait était déjà en mon for intérieur, sans que je le sache. C'est comme si j'avais avalé un miroir cylindrique : il tourne, les reflets se multiplient, les langues et les écritures se heurtent, se transforment et s'engendrent dans leur altérité, elles passent les unes dans les autres. Ainsi se tisse la colonne vertébrale/phallique du texte. Ainsi se dissémine le séminal.

Cette colonne de souffle où s'opère l'auto-affection de la voix fait penser au refoulé primordial de Lacan. Il est effacé, vidé de son caractère transcendantal, mais commande encore par sa puissance d'attraction.

C'est aussi le pénis circoncis - comme le montre, p416, la mention de la lettre (i) : phallus vidé, retranché de lui-même, décapité (i). De même que la circoncision est un abandon du propre, dieu se retire de lui-même.

A partir de cette notion où la pensée biblique se rejoue, les Nombres de Sollers sont relus (on y trouve plusieurs allusions à la Cabale). Le schéma sollersien de la dissémination, où se superposent et se multiplient lignes et colonnes de la scène représentative, est comparé à l'arbre séfirotique.