C'est une anecdote racontée par Safaa Tafhy, un extrait qu'elle n'a pas retenu dans le montage final de son film D'ailleurs, Derrida. C'est aussi un aphorisme dont elle ne donne pas l'énoncé complet, une citation dissociée de son "contexte", comme on dit - des propos tenus dans la synagogue désaffectée de Tolède. C'est aussi une analyse à laquelle Derrida avait déjà fait allusion à la fin de son texte intitulé Foi et savoir, quand il a évoqué une grenade enfermée sur un plateau un soir de Pâques (p100, avant-dernier paragraphe, analysé ici) ([A noter que le texte Foi et savoir est cité dans Tourner les mots, p23]. C'est aussi une improvisation mais - comme toutes les improvisations derridiennes - solidement ancrée dans sa pensée.

Que dit-il alors? Dispersion sans diaspora. Nous n'en savons guère plus, à part les explications de Safaa Tafhy, qui donnent à penser la duplicité de la grenade :

- ce fruit aux grains innombrables, ce symbole de fécondité souvent mentionné dans la bible. "Tu ensemenceras l'univers", dit Dieu au peuple juif, est une "force séminale, spermatique ou ovulaire", une puissance germinatrice.

- ce fruit enclos sous une peau unique signifie aussi "la destruction et la mort". Pourquoi? Quand les graines se disséminent, la grenade elle-même se disperse.

Mais pourquoi "sans diaspora"? Derrida lui-même, émigré méditerranéen, n'a jamais accepté aucune appartenance à aucun peuple (pas davantage le peuple juif qu'un autre), il n'a voulu participer à aucune "communauté", à aucune diaspora organisée, tout en continuant à s'affirmer juif, et même encore plus (que s'il avait affirmé son appartenance à la diaspora).