On ne pourrait avoir pour ami ni un Dieu, ni un être absolument autonome ou autosuffisant, car penser à l'ami, c'est penser l'autre, c'est avoir besoin de l'autre pour penser. Inversement, dans la perspective du cogito, il n'y a de pensée ou d'être pensant que dans l'amitié [Être, c'est penser l'autre]. Pour l'homme (pour l'être humain, mortel), la pensée ne va pas sans la philia [le mot grec pour amitié - mais aussi pour amour]. La possibilité de l'amitié requiert le mouvement d'une pensée qui appelle, désire l'autre, une pensée qui, au coeur du cogito, reconnaisse la nécessité de l'autre. L'autre était en moi avant moi, avant tout savoir et toute conscience réflexive. Il aura fallu que je lui fasse confiance (une confiance sans mesure, illimitée), que je pense à partir de lui, depuis lui (p221), pour que je sache penser; sans cette hétéronomie, je n'aurais pas pu faire l'expérience de mon for intérieur,.

Sans ennemi (ou sans ami, ou sans un Malin Génie qui jouerait ce rôle), on ne peut s'identifier à soi, on ne peut pas se rassembler comme soi-même au présent, on devient fou (p200). On perd la possibilité de se poser, de poser un objet en face de soi. On risque de perdre la raison.