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CinéAnalyse : sur la consommation, pure présence vouée à la chute                     CinéAnalyse : sur la consommation, pure présence vouée à la chute
Sources (*) : La voix coupée du corps               La voix coupée du corps
Ignace Lequedeur - "D'une prothèse en plus", Ed : Galgal, 2007, Page créée le 8 avril 1995 Dissociations contemporaines

La voix se disperse en de multiples objets courants

Dissociations contemporaines
   
   
   
                 
                       

Nous postulons qu'il y a, dans la vie courante, une catégorie particulière d'objet que nous appelons l'objet-voix. Que fait-il de la voix?

 

Il la spécularise.

Faire de cet objet invisible, l’objet invisible par excellence, une matière qui puisse se regarder dans une glace aussi banalement qu’un corps, voilà l’exploit impossible que réalise une époque qui n’a pas froid aux yeux, c’est le cas de le dire, puisqu’elle pense que tout peut être regardé, sans exception.

Dans “Rencontre avec moi-même aux 4 chats du monde” (1948) Victor Brauner se contemple lui-même en train d’observer dans le miroir sa propre voix, et que voit-il? Un flot muet qui remplit une double coupe. D’un côté il y a Victor, et de l’autre côté, il y a Victor. La voix est une médiation entre moi-même et moi-même, elle rapproche le soleil et la lune réduits à l’identité à soi. Mais néammoins, entre les deux, entre la voix et la voix, il y a quelque chose : un mur.

Dans quoi la voix se réfléchit-elle? dans un muroir. C’est ainsi qu’elle nous revient, démultipliée par les murs de l’espace vocal. C’est ainsi qu’elle résonne dans sa forme banalisée, jusqu’à l’inaudible. Le mur y est mouroir de la voix, c’est-à-dire mutation de la parole en la forme courante de la voix perpétuelle perpétuellement renvoyée par des surfaces qui en absorbent l’essentiel, c’est-à-dire la dimension invisible.

 

Il l’universalise.

Ainsi, par exemple, une guitare dans la peinture cubiste. Que vient-elle faire dans le tableau? Pourquoi une guitare? Parce qu’il faut bien que l’artiste dise : Il y a aussi ma voix. Cette voix, c’est la guitare. Mais une guitare vaut pour n’importe quelle voix, pas seulement pour la sienne, celle du peintre. Une guitare manque de singularité, et c’est justement pour ça qu’on la choisit. Une guitare est l’équivalent universel de l’objet-voix, et le peintre veut être l’auteur d’une peinture à vocation universelle. Il s’adresse à tout le monde. Donc il choisit comme objet-voix l’objet qui, à un moment donné, porte le mieux les identifications : en l’occurrence (dans les années 1910) la guitare, formidable prémonition des années 60.

Dans “Nature morte cubiste” de Georges Braque (1919), la guitare voisine avec une clarinette et quelques partitions, autour du mot “Solo”. Pourquoi “Solo”? Parce que la guitare de Braque représente son moi (qui pourrait être aussi bien celui de Picasso). C’est la guitare du commun. Son talent lui permet de la montrer, de la déformer comme si elle était sa petite guitare à lui, sa guitare singulière, son organe qu’il dessine fièrement sur un tableau. Mais y réussit-il? En quoi Braque se livre-t-il personnellement à travers cette image? Ce à quoi il réussit est diamétralement opposé : il représente la guitare comme l’objet quelconque de notre temps, c’est-à-dire la voix.

 

Il la communautarise.

Les représentations de scènes de consommation d’alcool montrent les variations étonnantes du rapport à la voix. L’alcool (quoique concurrencé par le coca-cola) reste symbole communautaire, comme il l’était déjà du temps des grecs; il est la marque représentative du repas pris en commun, et de l’échange de voix auquel le repas donne lieu.

Bien des images en témoignent, comme par exemple “le Déjeuner d’huîtres” de Jean-François de Troy (1724), où les bouteilles ventrues sont objets de partage, comme le pain, les plats ou les huîtres. Il n’y a pas dans cette représentation de rapport personnel à la bouteille, tous les visages se ressemblent, tous apprécient pareillement les huîtres, et la plupart du temps ils regardent le ciel plutôt que leur prochain.

Les natures mortes de facture classique, comme la “Nature morte à la bouteille de vin rouge” de Pierre Bonnard (1942), témoignent de la même indifférence à la personne. La table est faite pour des convives dont la présence est suggérée par les objets d’usage. Ceux-ci, ces objets, portent le plaisir d’être ensemble : c’est-à-dire la voix, la voix commune.

Quand on représente les personnages, comme le fait Juan-Carlos Cacérès dans son “Maté et Tango” [dont j’ignore la date], on les aligne en une série homogène où les différences (forme du chapeau, du nez ou de la bouche) soulignent leur essentielle identité et interchangeabilité.

Le rapport à l’alcool peut basculer d’un instant à l’autre, d’un lieu à l’autre, d’un rêve à l’autre. Dans le cours du même repas, une petite gorgée de plus peut signifier la détresse. Elle est comme le mot qui change toute une phrase, voire toute une vie. Elle est une parole refoulée, silencieuse, interdite.

La “Buveuse d’absinthe” de Pablo Picasso (1901) donne l’exemple d’un tel refoulement. Le verre est encore plein, mais l’esprit est déjà vide, et l’on sait que de l’un à l’autre, rien ne se transmettra, si ce n’est le désespoir. Ce tableau n’est pas centré sur un point de l’espace, il est orienté par le point éloigné que regarde la Buveuse : ce qu’elle désire oublier, ce que l’absinthe (objet contre-vocal ou anti-vocal) lui permet d’oublier.

Mais quand l’espace bascule, quand la consommation de l’objet devient indétachable de l’exercice d’une parole incontrôlée, alors ce qui représente l’alcool se détache du sujet. Le destin de la bouteille se rallie à celui de la voix. Le sujet la perd, s’y sent étranger. Il l’observe de loin. Elle lui a échappé et suit son propre chemin. S’il en est gavé, ce gavage lui déforme littéralement la gueule. Et si l’objet lui est désigné comme consommable, alors il est inatteignable.

Dans “Flaschentrinker” de Georg Baselitz (1981), l’alcool, au lieu de s’écouler dans le gosier, chute en direction du cerveau. Au passage, il écarquille le regard, comme vitrifié par la transition. L’inversion du sens du tableau ne change pas la gravité, qui s’oriente toujours aussi résolument vers le bas. Il en résulte comme un chiasme, un croisement dangereux. La voix doit être impérativement ingurgitée afin de noyer toutes les fonctions mentales.

Chagall avait perçu le même processus quand il a peint “Le Buveur” (ou “le Saoûl”) en 1911. Mais dans le cas de Chagall, le sujet reste toujours à distance de l’objet qui va l’influencer. Ses lèvres sont entrouvertes, mais la bouteille reste bouchée. Si quelque chose entre dans la cervelle, ce sera par les yeux, et si quelque chose rentre dans le corps, ce sera directement par le cou dangereusement ouvert au monde par suite de la décollation.

Après cela, en 1991, le repas communautaire tel que Patssi Valdez l’a peint dans “Pain et vin” ressemble à un chateau hanté.Les verres et les bougies croisent le fer, les chaises lancent leurs flèches vers l’au-delà, mais il n’y a plus personne pour y participer. La pièce est résolument vide. Les objets morts n’attendent plus les convives, ils prennent tous seuls leur propre plaisir. Tant mieux pour eux!

ix de l’espace vocal). Elle doit être impérieusement autonome, mais cette autonomie ne peut être que l’apparence du détachement.

 

Il la banalise.

Pour remplir pleinement son office, l’objet-voix doit être quelconque.

Dans le film “Beaumarchais l’insolent” (1995), Edouard Molinaro nous fait participer à une époque où la voix singulière, c’est-à-dire la parole, n’était pas encore banalisée. On pouvoir condamner, emprisonner, déposséder, torturer, tuer pour une voix. Elle n’en était que plus forte, plus centrale, alors qu’à présent elle est tellement répandue qu’elle en paraît naturelle. Une voix naturelle dépossédée de ses pouvoirs n’a plus rien d’humain.

 

Il la symbolise.

Dès lors qu’un objet est saisi par la voix, il est arraisonné par le langage et sommé de dire quelque chose qui s’écarte de sa propre vérité d’objet. Ce n’est plus un objet comme un autre, c’est un symbole, un objet-symbole, un objet qui résiste à la banalisation.

Victor Brauner nous montre un tel objet dans sa “Composition” de 1954. L’objet vocal s’y pétrifie, s’y objective (si l’on peut dire) en un instrument de musique, une sorte de piano qui se retourne contre le sujet et l’observe de l’extérieur. Voilà ce qui nous menace si nous oublions les pouvoirs symboliques de la voix.

Tout objet représentant la voix possède une luxuriance particulière, une luminosité, une vibration qui lui est propre, mais qui vient d’ailleurs. On peut qualifier de phallique cette luminosité. Qu’est-ce que ça veut dire, phallique? Ça veut dire que ça désigne un point qui, à la fois, transcende et jouit.

Le film d’Elia Kazan, Un homme dans la foule (1957), montre qu’un être humain peut prendre la place de l’objet quelconque qui supporte la fonction de la voix. Dans le film, cet être s’appelle Larry Rhodes et prend la nom de scène (c’est-à-dire de voix) de Lonesome Rhodes. Lonesome (le solitaire) est un fils de bonimenteur, trouvé par hasard dans une prison par la nièce du propriétaire d'une radio locale. Son mode de vie est l’errance sur les routes. Il est réfractaire à toute forme d’attache. Sa voix est mobile par nature, pour ainsi dire génétiquement. Son talent de chanteur et de séduction repose sur cette mobilité : une capacité spontanée d’identification qui s’applique à tout et n’importe quoi, aux ménagères comme aux produits ménagers, aux industriels comme aux politiciens. Cet homme du peuple n‘est qu’une voix du peuple, la voix éphémère d’un peuple qui n’a pas de voix.

Au départ, c'est sa naïveté qui le sert. Il possède un don magique qui fait que le public croit tout ce qu'il dit et fait tout ce qu’il demande. D’où lui vient ce don étrange? De la banalité même de sa voix conjuguée à la force du medium. C’est une voix à laquelle n’importe qui peut s’identifier, de même que lui s’identifie à n’importe qui. Peu à peu cette naïveté se mue en professionnalisme. Après avoir tourné la publicité en dérision (ce qui fait vendre), il devient publicitaire et vend le Vitajex, qui ne contient rien d'autre que le message publicitaire qui le fait vendre. La même méthode s’applique aux hommes politiques. Il devient un héros du peuple, dépassé par son propre succès. Sa grande erreur est de croire à son propre personnage, alors que le succès de la voix repose sur l’inexistence du personnage (remplacé par n’importe quel locuteur). De même que le Vitajex ne contient rien, il n'a rien à dire, ce qui ne l'empêche pas de se conduire comme un Goebbels, un Goebbels fou qui croit pouvoir maîtriser sa propre voix.

Lonesome Rhodes est une machine à faire rire, applaudir, acheter, etc... Il est un enjeu commercial, une voix dont les femmes s'emparent comme d'un phallus magique, mais pas un être humain. Il se croit unique, mais sa voix est interchangeable avec n’importe quelle autre qui aurait la même fonction. Il est le voile derrière lequel se cache le mépris à l'égard du peuple. Le jour où ce mépris s'exprimera directement à la télévision, il disparaîtra en même temps que la fonction de voile qu'il incarnait. Il croit les micros coupés, et parle de sa propre voix. Mais cette voix-là, personne ne veut l'entendre : elle est dégoûtante. Il ne lui reste plus qu’à se jeter par la fenêtre.

 

Il en préserve l’incertitude.

Le tabac, qui évoquait autrefois le plaisir personnel, devient une sorte de transgression du devoir personnel à se maintenir en bonne santé. Il porte une dimension de risque, c’est-à-dire de refus de la banalisation contrôlée du monde. On peut mourir du tabac, cet objet si courant.

Choisir ici quelques images de tabac.

 

Par elle (la voix), il (l’objet) devient inaccessible.

Au bout du compte, qu’est-ce qui est commun à ces objets? Quel est le facteur qui les détermine tous comme voix? Ce facteur, je l’appelle le (e). Il n’a pas de substance. Il n’est pas spécularisable. Il est la marque d’une absence, d’une exclusion. Ce que ces objets ont en commun n’est pas vraiment localisable. C’est une vision du monde, une perception des choses, une éthique implicite qui résiste à la banalisation.

 

Est-il possible qu'à présent, tout objet soit susceptible de devenir objet-voix?

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