Derrida
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Abraham, le patriarche                     Abraham, le patriarche
Sources (*) : Sur l'artRire               Sur l'artRire
Léo Melbou - "Contagion du rire", Ed : Galgal, 2007, Page créée le 30 janvier 1996

 

Homme qui rit (Alphonse Levy) -

Le rire d'Abraham retentit encore, le monde en est secoué et l'art bouleversé

   
   
   
                 
                       

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Les deux évènements fondamentaux de la vie d'Abraham sont marqués par le rire.

Térah, le père d’Abraham était, selon le talmud, fabriquant d’idoles. C’était un sculpteur dont le matériau de base était la terre, c’est-à-dire le même matériau (poussière) que dieu est supposé avoir employé pour créer l’homme. On trouve à ce sujet un midrach qui est peut-être une des plus anciennes plaisanteries qui nous ait été transmises :

Abraham a cassé les idoles de son père.

- Pourquoi les statues sont-elles détruites? demande le père.

- Elles se sont battues entre elles, répond le fils.

- Mais ne sais-tu pas, fils stupide, que les idoles que je vends sont absolument inertes? réplique le père.

Deux remarques :

La rupture d’Abraham avec son père, qui est tout de même un évènement très grave, il ne l’a pas faite avec sérieux. Il l’a faite dans un vaste éclat de rire, en se moquant à la fois de son père et de sa religion. L’attitude paradoxale du père est évidente. S’il croit aux idoles, il doit admettre l’hypothèse qu’elles puissent se battre. Mais alors, il ne peut rien reprocher à son fils. Inversement, s’il reproche quelque chose à son fils, c’est qu’il ne croit pas aux idoles, et donc à sa propre religion. Le monothéisme semble trouver sa première justification dans une sorte de plaisanterie.

Abraham est le premier iconoclaste, le premier destructeur d’oeuvres qui sont probablement des oeuvres d’art. En réprouvant l’idolâtrie, Abraham ne réprouve pas seulement la religion de son père, mais aussi son travail, le travail de l’artisan ou de l’artiste. Les quelques mots échangés montrent que Térah ne croyait pas plus aux idoles qu’Abraham n’y croyait, il n’était pas dupe. Mais il croyait peut-être dans son art. On peut imaginer qu’il n’était pas seulement vendeur de statues, mais aussi artiste. Abraham n’a pas respecté l’art de son père.

Jusqu’à présent, je n’ai parlé que du talmud. Toute cette histoire que je viens de raconter ne figure pas dans la bible elle-même. Mais je voudrais attirer l’attention sur un point qui me semble intéressant. C’est que le premier rire de la bible concerne aussi Abraham.

On se situe à un moment où Abraham est âgé de 99 ans, et Sara, son épouse jusqu’alors stérile, de 90 ans.

Dieu dit à Abraham : “Saraï, ton épouse, tu ne l’appeleras plus Saraï, mais bien Sara. Je la bénirai, en te donnant, par elle aussi, un fils; je la bénirai, en ce qu’elle produira des nations et que des chefs de peuples naîtront d’elle”. Abraham tomba sur sa face et sourit ; et il dit en son coeur : “Quoi! un centenaire engendrerait encore! et à quatre-vingt-dix ans, Sara deviendrait mère!” (Genèse, 17:15-17).

Un peu plus tard, trois anges viennent confirmer la déclaration divine. Le texte raconte :

L’un d’eux reprit : “Certes, je reviendrai à toi à pareille époque, et voici, un fils sera né à Sara, ton épouse”. Or, Sara l’entendait à l’entrée de la tente, qui se trouvait derrière lui. Abraham et Sara étaient vieux, avancés dans la vie; le tribut périodique des femmes avait cessé pour Sara. Sara rit en elle-même disant :”Flétrie par l’âge, ce bonheur me serait réservé! et mon époux est un vieillard!”. Le Seigneur dit à Abraham : ”Pourquoi Sara a-t-elle ri, disant : “Eh quoi! en vérité, j’enfanterais, âgée que je suis!” Est-il rien d’impossible au Seigneur? Au temps fixé, à pareille époque, je te visiterai, et Sara sera mère”. Sara protesta, en disant : “Je n’ai point ri”; car elle avait peur. Il répondit : “Non pas, tu as ri”. Les hommes se levèrent, et fixèrent leurs regards dans la direction de Sodome; Abraham les accompagna pour les reconduire”. (Genèse 18:10-16)

 

 

Donc Abraham et Sara, confrontés à la nouvelle déclaration divine qui concerne non plus le père d’Abraham, mais son fils, rient. Sara enfantera un fils, probablement aussi dans un éclat de rire.

Parlons maintenant un petit peu d’Isaac, Itshaq, le fils d’Abraham et de Sara. Ce nom, Yits'haq, signifie en hébreu : "celui qui rira", justement parce que, en apprenant sa venue, Abraham et Sarah se sont mis à rire. Ce point-là, le rire, n’est donc pas un point secondaire dans le mythe.

L’épisode suivant est moins drôle, puisqu’il s’agit du sacrifice d’Isaac. Abraham n’hésite pas, à la demande de dieu, à sacrifier son propre fils. Cet homme est quand même assez spécial. Après avoir brisé les statues de son père et abandonné sa famillee et sa ville d’origine, il se prépare à mettre le fils qu’il a eu à l’âge de 100 ans. Certes, il n’y croit qu’à moitié, comme le démontre le lapsus qu’il comme comme s’il savait déjà que le sacrifice serait interrompu, puiqu’il dit à ses serviteurs :

“Tenez-vous ici avec l’âne; moi et le jeune homme nous irons jusque là-bas, nous nous prosternerons et nous reviendrons vers vous” (Genèse 22:5).

Il reste que, si dieu le lui avait ordonné, il aurait sans hésiter sacrifié son propre fils.

Il apparaît que, par rapport à sa propre filiation (ascendante ou descendante), Abraham ne respecte pas l’éthique de base de tout être humain. Si l’on admet que les paroles auxquelles il obéit proviennent de sa propre imagination, on aboutit à un tableau psychologique plutôt inquiétant.

Il entend d’abord une première voix qui lui dit :

“Eloigne-toi de ton pays, de ton lieu natal et de la maison paternelle, et va au pays que je t’indiquerai”

Rupture donc avec une famille à laquelle, au fond, il n’avait rien à reprocher. Ceci est contraire à un futur commandement, le cinquième :

“Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur la terre que l’Eternel ton dieu t’accordera”.

Il n’hésite pas à tuer son propre fils, ce qui constitue une transgression des règles de base de la vie non seulement humaine, mais aussi animale.

Il se croit désigné pour occuper un certain pays. Si cette désignation est une hallucination, il va très loin dans les conséquences qu’il en tire puisqu’il modifie son propre nom et celui de sa femme, comme s’il était lui-même l’auteur de leurs jours.

Ce n’est pas qu’Abraham n’ait pas d’éthique, au contraire, c’est qu’il développe une nouvelle éthique. Il accepte l’errance. Son rapport à la terre accepte l’échange et l’altérité (contrairement aux dirigeants actuels d’Israël, il accepte le principe de la terre contre la paix.

Signaler en passant qu’Abraham atténue (voire supprime) la coupure initiale avec sa famille d’origine en demandant sur son lit de mort que son fils Isaac épouse une femme de sa famille et non pas une fille de Canaan (ce sera Rebeca). Cela montre que rien n’est simple.

On retrouve dans l’art actuel trois des dimensions dont j’ai parlé à propos d’Abraham.

L’art actuel rompt avec toutes les filiations. Il est fondé sur le nom propre. Il s’agit de “se faire un nom”, comme dans le cas d’Abraham.

Le comportement d’Abraham à l’égard de son père et de son fils est exactement celui de l’artiste moderne. Il refuse toutes les traditions et se croit élu par un dieu invisible.

L’art actuel détruit la figure, comme les iconoclastes, comme Abraham.

On trouve dans l’art abstrait une inspiration analogue.

Selon le Sefer Yetsirah, qui est le livre de base de la Cabale, Abraham, lorsqu’il était encore à Haran, dans la maison de son père, avait tenté de fabriquer des êtres humains. Ce texte est à l’origine de la fameuse légende du golem. Haran était un centre idolâtre où l'on adorait les statues. Abraham a voulu expérimenter l’efficacité de ces statues, et aurait partiellement réussi. Il aurait créé des âmes en méditant sur la puissance des lettres. Mais ce fut un demi-échec. Abraham a insufflé aux statues l'esprit au sens de nefech, mais ces êtres étaient dénués de nechamah. En d’autres termes, c’étaient des êtres vivants qui respiraient, mais ils n’avait pas véritablement d’âme. Abraham aurait atteint les limites de l’art, mais il aurait été déçu et cette déception lui aurait donné la révélation de l’unité de dieu.

Picasso ne fait-il pas exactement le chemin inverse? Partant de l’unité de la personne, il la morcelle et y trouve plusieurs vérités.

L’art actuel est un formidable éclat de rire.

Prendre l’exemple de certaines performances, depuis Ubu jusqu’à la merde d’artiste, en passant par les futuristes et les surréalistes.

De même qu’Abraham et Sarah, le monde actuel est vieux, décrépît. Mais il est encore fécond. Il peut générer une myriade de descendants.

L’éthique de l’art moderne radicalise les conceptions abrahamiques.

Par rapport à Abraham, qui a accompli un pas gigantesque, l’art actuel fait un pas de plus. C’est ce qui conduit au fait que ce n’est plus Abraham qui rit, c’est dieu. On peut dire qu’Abraham est dépassé par les évènements. Un rire athée lui succède.

Il faut croire que tous ces évènements, ceux qui sont arrivés à Abraham et ceux qui concernent l’art moderne, plaisent à dieu, et même qu’il en rit. Essayons d’explorer cette hypothèse.

Si l’on en croit un commentaire talmudique, avant la création, dieu riait. Tant qu’il y a eu de la religion, il semble que dieu ait été sérieux. Avec l’athéisme, dieu se remet à rire. L’art actuel n’est qu’un symptôme, une conséquence de cette nouvelle situation. C’est comme si l’ancien rire était à nouveau libéré.

Ce que j’avance là n’est pas de la spéculation ni de la mystique. C’est bien ce qu’on constate dans la réalité. Quelque chose, à un moment donné, a libéré le rire. Cette même chose a produit des effets déplorables, mais elle a au moins quelques aspects positifs.

v. aussi Nietzsche.

Le rire est au coeur de toute notre société, pas seulement de l’art. En témoignent les émissions de télévision et la crise du sérieux.

C’est l’achèvement du cycle abrahamique. Le mot achèvement n’est pas pris ici au sens de finalisation, de clôture, mais de réalisation, d’accomplissement. Nous sommes revenus à Haran, confrontés aux idoles des temps modernes. Mais celui qui rit n’est plus Abraham, c’est dieu lui-même.

Il faut construire à partir du rire de dieu, c’est-à-dire du vide.

Conformément à ce qu’avait prophétisé Kafka, la terre promise, étape ultime de l’errance d’Abraham, n’est pas Canaan, c’est le désert. Nous ne sommes pas en transition dans le désert, même pour une longue période de 40 ans, nous y sommes pour toujours. Il faut, à partir de cela, reconstruire une éthique aussi forte que celle d’Abraham. Je pense que l’art moderne, malgré tous ses défauts, nous y convie.

 


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