Ici, Van Gogh a regroupé tous les cas de figure de ses peintures de souliers. Ils se regroupent difficilement par paires. L'un est retourné comme un gant, comme dans les Vieux souliers aux lacets, un autre est à l'envers, comme dans les Souliers noirs et la paire de Souliers sur sol bleu, et il y a aussi des bottes sans lacets. Quelle est la signification de cette série? Pourquoi les aligner sur un vague tissu? Pour quelle exhibition? Il n'y a rien de narratif. Quoique abandonnées, ces chaussures n'ont pas été oubliées, elles ne sont pas à vendre, elles ont été disposées là pour être peintes.

Ces souliers ne servent plus à rien tellement ils sont usés. Ils ont servi, mais ils ne se définissent plus par leur usage. Ils sont au-delà de l'usage (dépareillés, posés n'importe comment, pas entretenus, abandonnés dans un non-lieu). Pourquoi représenter des objets qui ne sont plus utilisables comme objets? Parce qu'ils continuent à témoigner de la dignité de l'humain. Plus tard, quand il sentira son moi menacé, Van Gogh s'accrochera aux objets. Ceux-là sont dignes comme des vieillards. Ils sont émouvants comme les faibles ou les pauvres. Le vagabond qui les a abandonnés n'a ni foyer ni fonction sociale. Personne ne les réclamera plus. Ils ne sont pas beaux à proprement parler, mais on adore les contempler.

Trois paires de souliers (Vincent Van Gogh, fin automne 1886)

Ce tableau est l'un des deux qui étaient présentés à l'exposition d'Amsterdam de 1930 qu'Heidegger a visitée.