Derrida
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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

                     
                     
La tâche du traducteur                     La tâche du traducteur
Sources (*) : Walter Benjamin               Walter Benjamin
Walter Benjamin - "Oeuvres I", Ed : Folio-Gallimard, 2000, p255, La tâche du traducteur

 

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[La tâche du traducteur est de faire mûrir, dans la traduction, la semence du pur langage]

   
   
   
                 
                       

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1. Témoigner du "pur langage".

Les langues ne sont pas étrangères les unes aux autres. Abstraction faite de leurs relations historiques, elles sont toutes, a priori, apparentées. Il y a entre elles un rapport intime, dissimulé, qu'aucune traduction ne peut révéler complètement mais dont témoigne la traductibilité de toutes les langues les unes dans les autres. Walter Benjamin suppose que, dans le langage humain, c'est un autre langage, le langage muet, anonyme, des choses ou des bêtes qui est accueilli. Il qualifie de "vrai" ou pur langage ce lieu inaudible où les langues se rejoignent. Il est impossible de produire ou de faire apparaître comme tel ce pur langage, mais il est possible de le représenter en germe. C'est la tâche du traducteur : rendre reconnaissable le texte comme fragment d'un langage plus grand, laisser passer l'incommunicable, l'intouchable, l'intransmissible qui est inscrit sous forme ultime, dérivée, dans l'oeuvre singulière. Pour transposer ce pur langage dans une autre langue, le traducteur doit exercer sa liberté.

Une traduction atteste de la façon la plus exacte possible de la parenté entre les langues. Elle n'a pas de prétention à l'objectivité, elle ne reflète pas l'original, ne lui ressemble pas. Elle est une mutation, un renouveau du vivant, une modification de l'original même, qui continue à mûrir à travers elle. De génération en génération, les mots changent de sens, les subjectivités évoluent. En traduisant l'oeuvre, on tient compte de ce processus historique et fécond. Ce ne sont pas deux langues mortes qui sont mises en relation, c'est la parole de l'écrivain qui poursuit son enfantement. L'enjeu de la traduction est moins la réception ou la reproduction du texte que sa survie.

 

2. La responsabilité du traducteur.

Le traducteur ne doit ni transmettre un message, ni se soucier d'adapter le contenu d'une oeuvre à de nouveaux lecteurs qui ignoreraient la langue d'origine. En effet, si l'oeuvre est traductible, ce n'est pas pour être communiquée. L'original ne s'adresse pas à des lecteurs déterminés, mais à l'homme en général. L'auteur "rend" ce pur langage dans sa langue, une opération qui n'est pas différente de celle du traducteur. L'un et l'autre s'acquitte d'une dette. Le traducteur ne doit pas en rester à la restitution du sens, pour autant qu'elle soit possible. En tant qu'héritier, il doit exhiber le langage dans sa dignité, sa pureté magique, mystérieuse, il doit contribuer à la maturation de l'oeuvre, la faire vivre plus et mieux. Chaque oeuvre exige des traducteurs qu'ils soient eux-mêmes signataires de l'oeuvre. Elle ne les trouve pas toujours, mais l'exigence persiste.

 

3. Les apories de la traduction.

Ce texte a fait l'objet de nombreux commentaires et reprises. Walter Benjamin utilise le vocabulaire de la vie, de la survie, de la génération, de l'ensemencement et de la procréation. Jacques Derrida introduit dans ce vocabulaire un certain décalage. Le traducteur fait fructifier, agrandir et altérer deux langues, il réalise à partir de l'oeuvre un nouvel ensemble. On peut comparer cette tâche au contrat de mariage, qui promet la naissance d'un enfant.

"Car la langue maternelle du traducteur, nous l'avons noté, s'y altère également. Telle est du moins mon interprétation - ma traduction, ma "tâche du traducteur". C'est ce que j'ai appelé le contrat de traduction : hymen ou contrat de mariage avec promesse d'inventer un enfant dont la semence donnera lieu à histoire et croissance" (Derrida, Des tours de Babel, in Psyché 1, p224).

L'enfant ouvre à l'oeuvre un autre monde, on ne peut jamais le réduire à une simple reproduction de ses parents. Il sera source lui-même d'invention et d'histoire. Dans cette tâche, le traducteur est soumis à une double contrainte : d'un côté il respecte l'original, il le garde dans son authenticité, il vise en lui un langage pur, une écriture sacrée. Mais d'un autre côté, il détache la lettre du sens commun. C'est cette dimension de coupure détachée du sens, cette délivrance du corset du sens, qui distingue la démarche derridienne de celle de Benjamin. Benjamin recommande de ne traduire un texte qu'à partir de l'original, et non pas à partir de sa traduction dans une autre langue. Par rapport à cette recommandation, Jacques Derrida semble ambivalent : dans son travail philosophique, il revient chaque fois que c'est possible à la langue d'origine, surtout si cette langue lui est accessible (par exemple l'allemand, le grec, l'anglais). Il faut, dit-il, laisser l'original intact. Mais il n'y a pas d'original authentique. Une origine, par structure, est toujours perdue, effacée. L'œuvre, qui se confond en définitive avec la série des traductions et contaminations successives, se confond avec cette aporie.

On retrouve cette double dimension dans l'analyse que fait Peter Szendy de l'arrangement musical. Quand on arrange un morceau de musique, on le transforme, mais malgré ces transformations, on ne change pas l'original. On vise en lui sa demande de survie, son désir de maturation dans l'autre langue, la langue qui vient.

 

4. Faire survivre le texte de Benjamin.

Une œuvre renvoie à d'autres textes, d'autres œuvres, d'autres contextes qu'elle traduit à sa manière. Elle ne se limite pas à transposer le pur langage du sens, mais ajoute la dimension d'une autre lettre, une autre langue, celle qui vient. C'est ainsi qu'il faut procéder à l'égard du texte de Walter Benjamin. Il ne faut pas seulement en isoler ou analyser le contenu, il faut en proposer une traduction "comme la signature d'une sorte de nom propre destinée à assurer sa survie comme œuvre" (Derrida, Des tours de Babel, in Psyché 1, p215).

 

 

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Propositions

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Par la traduction, le langage humain fait passer le langage des choses, anonyme et muet, en noms et paroles

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Dans les traductions se cache le langage vrai, qui n'est pas l'original mais le lieu où toutes les langues tombent d'accord, même si les phrases ne parviennent pas à s'entendre

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Pour produire ses effets les plus magiques et les plus dévastateurs, il faut que le langage s'exhibe dans sa pureté, mettant au jour sa dignité et son essence

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Une oeuvre littéraire est traductible par essence, car elle vise le langage pur, jusqu'alors dissimulé dans les langues

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Aucune oeuvre ou forme d'art ne s'adresse à quelque lecteur, spectateur ou auditeur que ce soit, car une oeuvre n'est ni un message, ni une communication

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La traduction n'est ni une réception, ni une communication, ni une reproduction d'un texte dans une autre langue : c'est une opération destinée à assurer sa survie comme oeuvre

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Le contrat de traduction - hymen ou contrat de mariage - promet une semence, l'invention d'un enfant qui donnera lieu à histoire et croissance

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L'événement du texte sacré, c'est qu'en commandant une traduction sans laquelle il ne serait rien, il se fait acte de langage, modèle et limite de toute écriture

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Traduire, c'est viser l'essence, la racine commune du littéraire et du sacré, c'est promettre un hymen, une réconciliation, un contrat qui préserverait l'intouchable et la brisure

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Traduire un texte ou arranger une composition musicale, c'est faire désirer l'original, viser en lui sa demande de survie, son instabilité ou son incomplétude

 


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