Nommer est un acte inaugural. On nomme une fois, une seule fois, dans un pur présent. C'est un acte de naissance, de générosité, et c'est aussi un acte de violence, d'appropriation. Donner un nom ou un surnom [comme le fait Genet pour ses personnages], c'est identifier, classer, policer, mettre en ordre. Le donataire est magnifié, mais il est aussi paralysé, réduit à une chose. Il est sublimé et arraisonné.

Prenons l'exemple d'un nom commun, divine, que Jean Genet transforme en nom propre, Divine (dans Notre-Dame des Fleurs). Le surnom adjoint une majuscule à un nom commun, il émajuscule - une opération comparable à une émasculation car le sujet n'a plus de prénom, son prénom est coupé, supprimé. Il est réduit à un nom commun, arraché à son identité sociale. son unicité est menacée. Glorifié, placé sur un trône, il est par la même opération réduit à une convention, un corps sans organe. C'est une opération politique et une destruction. Genet pensait honorer ses compagnons de prison en leur donnant un surnom, mais c'est lui qui en décidait, c'est lui qui en jugeait par sa sentence. Il signait sur eux de ce nom arbitraire qui crevait le tympan. En nommant, c'est lui, Genet, qui s'instituait et s'érigeant dans sa propre signature (p17b).