A la question : Toute règle, y compris linguistique, fait-elle le jeu de la police et de la répression?, Jacques Derrida répond qu'il faut être prudent. Même lorsqu'elle limite ou interdit, une loi, dans son essence, n'est en elle-même ni répressive, ni négative. Un feu rouge, par exemple, n'est pas répressif; et la répression doit être distinguée de l'injustice qui "transgresse la loi dont elle se réclame" (p241). Dans toute analyse normative, il faut pourtant faire référence à une loi. Cette nécessité est une structure de performativité, une structure a priori. Elle vaut pour le linguiste, le grammairien, le juriste, le théoricien, l'universitaire, le législateur, le défenseur du patrimoine culturel [on pourrait ajouter : le conservateur de musée, l'historien de l'art et aussi l'artiste], même si aucune force répressive n'est appliquée. Il faut dire, décrire et expliquer la norme, et il faut aussi la faire respecter. Dans certains cas, ces fonctions sont confondues (par exemple dans la recherche académique ou la défense de la langue française où celui qui décide du bon usage est aussi celui qui le fait respecter), dans d'autres cas, elles sont séparées. Certains théorisent et légifèrent, tandis que d'autres sanctionnent. Mais tout théoricien [en tous cas tout théoricien déconstructeur] a le devoir de décrire cette structure.

Quand on exclut le non-normal, le non-standard, on applique la loi, on met en oeuvre une politique - même si elle est complexe, équivoque, difficile à appliquer.