Jacques Derrida a intitulé "Avouer - l'impossible" la conférence qu'il a prononcée au Colloque des intellectuels juifs de France (1998) [la seule qu'il ait jamais prononcée dans une instance "communautaire"]. Il y traite le thème du Colloque, "Comment vivre ensemble?", sur le mode du "Il faut". Il faut bien vivre ensemble, dit-il, c'est une loi, une nécessité. On ne précise ni comment, ni avec qui (ses prochains, ses ennemis, sa famille, les autres humains ou les vivants en général, y compris les animaux), mais il le faut. Dire "Il faut", c'est proférer un "commandement" (p25), un mot qu'on ne peut pas prononcer à la légère. Un commandement comme celui-là ou comme d'autres [par exemple les "dix commandements], que commande-t-il? 1/ De faire l'impossible [on ne peut jamais le mettre en œuvre comme tel] 2/ D'avouer cette impossibilité. Au premier commandement s'ajoute donc un deuxième : il faut avouer. Il est impossible d'acquiescer à un commandement, par exemple "Il faut vivre ensemble", sans avouer, dans le même mouvement, les paradoxes, les apories de ce commandement (p33).

Que se passe-t-il si le commandement est infini, s'il exige une responsabilité infinie, inconditionnelle? Celui qui acquiesce à cette exigence ne peut que faire l'aveu de son impossibilité. C'est l'élection juive, à laquelle on ne peut s'opposer. On ne peut se soustraire à cette tâche irrécusable, mais on peut demander pardon, inconditionnellement.

En filigrane, dans le contexte de cette intervention, le questionnement derridien porte aussi sur un commandement plus personnel, qui peut s'écrire : "Il faut que je sois Juif". Pas plus que pour les autres commandements, il n'y a de vrai choix dans ce "Il faut", décidé bien avant de pouvoir dire "je". Il déclare, dans le même temps, par cet archi-choix, l'impossibilité pour lui d'appartenir à cette communauté, et l'aveu qu'il ne peut pas faire autrement.