A propos de l'expression "démocratie à venir", Jacques Derrida parle de militantisme, ce qui est plutôt rare chez lui : "L'expression "démocratie à venir" traduit certes ou appelle une critique politique militante et sans fin. Arme de combat contre les ennemis de la démocratie, elle proteste contre toute naïveté et tout abus politique (etc.)" (Voyous p126). Il faut, dit-il, appeler une "exigence démocratique, près ou loin, chez soi ou dans le monde, partout où les discours sur les droits de l'homme et sur la démocratie restent d'obscènes alibis (etc.)". Il ne s'agit pas seulement de défendre les droits du frère ou du citoyen, mais de laisser venir ou advenir "quiconque", le premier venu, même s'il n'est ni un semblable, ni une personne, ni un sujet. Cela implique que rien, dans la "démocratie à venir", ne soit défini à l'avance. Cette expression, dit-il, est une phrase sans verbe. On ne dit jamais ce qu'elle "est", on ne la présente pas comme existante ou déjà présente. En tant que promesse, elle se donne comme intégralement et absolument historique. C'est cette plasticité qui la rend universelle et en même temps fragile. Elle exige une justice qui soit aussi désajointement, une messianicité sans messianisme. L'expression démocratie à venir n'annonce rien d'autre qu'une injonction, un appel à un peut-être, un performatif non déterminé, à venir. Elle vise moins à faire advenir (le performatif conventionnel) qu'à laisser advenir (le méta-performatif). Et pourtant elle exige aussi "une responsabilité nécessairement excessive dont nul ne saurait s'exonérer" (Voyous p133).

Il suffit de prononcer l'expression, "démocratie à venir", et l'injonction opère, au-delà du performatif.