Que se passe-t-il quand je dis : Ce que je vois, dans l'évidence de la vision, est vrai? Ma vision est inconditionnelle, elle lie l'inconditionnalité et la vérité. Cette vérité se présente comme un constat de la raison pratique, mais elle est téléologique. C'est aussi un devoir : il faut que la vérité soit inconditionnellement vraie, qu'elle s'ordonne à une fin, un système hiérarchisé, une idéo-logie (l'idéalisme transcendantal de la raison), un logos. C'est la vérité de la vérité. Que nous le voulions ou non, nous sommes les héritiers de cette tâche infinie de la raison (pure, spéculative) subordonnée à la raison pratique. C'est un impératif.

La question posée par Derrida, c'est : Peut-on soustraire une expérience (un désir, une pensée) à cet héritage dont, malgré tout, nous restons les gardiens? Même dans la raison et à la raison, il peut arriver quelque chose, un imprévu qui s'éloigne de la téléologie de la Raison. C'est la question de l'événement unique, incalculable, sans horizon. Si cet événement sans visibilité (qu'on ne voit pas venir) est lui aussi inconditionnel, comment peut-il s'accorder à la raison? Une autre inconditionnalité, qui ne serait pas celle de l'évidence classique de la vision [laquelle est liée à la souveraineté du sujet], est-elle soutenable?