Dans l'héritage de Heidegger, on trouve cette opposition entre révélabilité (Offenbarkeit) et révélation (Offenbarung). Pour qu'il y ait révélation, il aura fallu que le Dasein soit déjà ouvert à la possibilité de la révélation. Cette révélabilité est une ouverture de l'être. Elle n'est ni chronologique, ni logique, mais ontologique. C'est la condition pour une révélation religieuse. Selon Derrida, on prend le risque, avec cette opposition, de penser une révélation qui ne viendrait que confirmer la révélabilité. Si l'on admet que la révélation est une rupture, un événement imprévisible, alors c'est elle qui ouvre la révélabilité, et non l'inverse. Les deux sont possibles, on ne peut pas choisir entre l'un et l'autre, c'est une aporie. Il faut penser la révélation en-dehors de toute idée de lumière, de vision, renoncer à l'idée d'une vérité révélée, d'un dévoilement. La révélation ne dévoile ni n'accomplit rien, elle ouvre quelque chose qui n'était pas prévisible. Dieu lui-même est affecté par cet événement qui lui arrive d'un coup. C'est son impuissance, sa vulnérabilité. On pourrait dire, en termes chrétiens, que la crucifixion est arrivée à Dieu, que c'est sa limitation, sa finitude.

La révélation est un événement, une hétéronomie que personne n'aura vu venir, qu'aucun horizon de révélabilité n'aura annoncé. Avant que l'homme, Dieu, ou l'animal, ne soit affecté, il n'y avait rien, ce qui conduit Derrida à rejeter complètement l'opposition heideggerienne : "To think the eventness of the event, then, we don't need this couple of concepts".

Cette formulation vient corriger celle de Foi et Savoir (2000), un texte où la révélabilité, lieu d'origine de la révélation, pouvait être interprétée comme annonce ou anticipation.