Derrida
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de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, la vie, la survie                     Derrida, la vie, la survie
Sources (*) : Sur l'"otobiographie", néologisme derridien               Sur l'"otobiographie", néologisme derridien
Jacques Derrida - "Otobiographies, L'enseignement de Nietzsche et la politique du nom propre", Ed : Galilée, 1984, p73

 

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Une signature à entendre au bord du corpus

Dans la différance entre le "je" auto-bio-graphique, le "je" allo-thanato-graphique et le "je" otobiographique de certains noms, peuvent surgir de nouvelles institutions du "oui"

Une signature à entendre au bord du corpus
   
   
   
Derrida, Nietzsche Derrida, Nietzsche
Derrida, l'alliance               Derrida, l'alliance  
Derrida, le savoir, l'université                     Derrida, le savoir, l'université    

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Pour analyser le prétendu "biologisme" de Nietzsche, son rapport à la vie et à la mort, Derrida étudie deux textes : Ecce Homo, son autobiographie (1888), un choix logique pour cette thématique et, ce qui est plus surprenant, Sur l'avenir de nos établissements d'enseignement (1872), des conférences où Nietzsche interroge la fonction qu'il occupe depuis sa nomination comme professeur en 1869, à l'âge de 25 ans.

Dans le premier texte, écrit quelques semaines avant sa chute dans la folie, il fait état de sa généalogie, sa division entre père et mère. Je suis un double dit-il, partagé entre mon père mort et ma mère vivante, entre l'écriture (l'œuvre, la signature) et la vie (le corps, la maladie), entre la dégénérescence (la décadence de la culture) et la regénération (sa contribution unique, singulière, pour ceux qui le liront et l'entendront). Les deux "je" ne s'opposent pas, n'entrent dans aucune dialectique, mais dans une dynamique, une marche, un rapport d'alliance entre mort et vie. Dans l'interprétation derridienne, l'autobiographie (le récit dans la langue maternelle exaltée par Nietzsche, la langue d'une mère vivante) y est inséparable d'une allothanatographie (un texte, qui par essence est toujours l'héritage d'un père mort). On trouve dans Ecce Homo le déploiement de cette alliance, avec ses paradoxes et ses impossibilités.

Dans le second texte, ces conférences sur l'avenir de nos établissements d'enseignement considérées comme des textes de jeunesse, Nietzsche fait intervenir des personnages fictifs dont la discussion débouche sur une sorte de pamphlet anti-académique. L'enseignement universitaire est présenté comme un rapport entre bouche et oreille, parole vivante et écoute passive, un lien ombilical professeur / élève qui ne laisse aucune place aux "hommes vraiment cultivés".

Derrida rapproche ces deux textes qui commencent et terminent l'aventure nietzschéenne. Il fait du double "je" de Ecce Homo et du lien ombilical des Conférences des figures de "la vie la mort", une seule structure en anneau, une alliance, qui se répète dans l'université. Parlant de Nietzsche, il parle de lui-même donnant un cours par sa bouche, au présent, dans une relation en abyme qui mobilise l'oreille de ses auditeurs, mais il parle aussi de lui-même professant une doctrine "intempestive, différante et anachronique" (p74), à la façon de l'éternel retour nietzschéen. Seule l'oreille de l'autre (l'otobiographie) peut donner crédit à cette marche intempestive, à ce "pas au-delà" que Nietzsche appelle, sans pouvoir le réaliser. Il nous laisse entendre que sans nous, lecteurs, il est impossible de prendre acte de ce "pas au-delà".

Serpent à deux têtes.

 

 

Dans cette réécriture du cours de préparation à l'agrégation 1975 qu'est Otobiographies, Derrida insiste sur le mot différance. Il y a dans le "Je suis un double" nietzchéen "une différance de l'autobiographie, une allo- et thanatographie" (p73); la doctrine de Niezsche "est intempestive, différante et anachronique" (p74); il faut recourir à ce que Nietzsche lui-même enseigne "du retard à l'échéance, de la différance posthume entre lui et son œuvre" (p81). Ce qui se passe entre les deux "je" n'est pas anodin, circonstanciel, c'est une affaire de différance posthume qui pourrait réintroduire, au-delà de la mort (la mort physique de Nietzsche et aussi la réduction de ses noms à ceux d'un grand homme, un écrivain, un philosophe), quelque chose qui serait de l'ordre d'un supplément de vie. Ce quelque chose, ce sont de nouvelles institutions (pp74-5). Il faut, pour qu'une telle différance arrive, un entre-je, un événement exceptionnel présenté par Nietzsche, dans la bouche du vieux philosophe de L'avenir, comme un devoir, une obligation. Laquelle ? Contre la langue morte et paternelle (le latin), contre la science historique, érudite, contre le style courant qui ne suscite que le dégoût, il faut une alliance avec la langue non dégénérée, noble : la langue maternelle. Il faut respecter l'intégrité vivante du corps de la langue maternelle (allemande). La tâche du maître de culture, c'est de traiter le vivant comme vivant [ou vivante, écrit Derrida], c'est de réprimer l'intérêt historique, savant (la philologie, l'étymologie) quand il n'est pas tourné vers l'action. Au style journalistique, le vieux philosophe oppose une exigence de marche, de mouvement, qui s'appuie sur un dressage linguistique [dont plus tard les nazis se feront les promoteurs, mais ceci n'a peut-être aucun rapport avec Nietzsche].

On peut s'interroger sur l'écart entre le texte de Nietzsche et l'interprétation qu'en fait Derrida. Le vieux philosophe recommande aux étudiants de préparer la naissance du génie, la création d'une œuvre "qui doit s'élever au-dessus du jeu changeant du temps, comme pur reflet de l'être éternel et immuable des choses" (L'Avenir, p116), il appelle à la transformation de l'université en orchestre sublime (p141) sur la base d'une harmonie préétablie avec le guide (p142). Derrida interprète cette recommandation comme un pas au-delà de l'institution enseignante, pour une raison qui peut sembler étrange : il y va toujours de la bouche et de l'oreille, comme pour l'enseignement classique, mais dissociées (la bouche de Nietzsche vivant, l'oreille de l'autre, l'entendeur, vivant lui aussi, mais dans un autre temps, un autre lieu, une autre époque). Nietzsche la promet par l'ensemble de son œuvre, non sans tensions et contradictions insolubles, et Derrida reprend au vol cette promesse. Il l'énonce, il l'articule avec son vocabulaire, ses mots. Il dit aux étudiants : écoutez-moi autrement. Alors il sera possible d'acquiescer, comme dans le cas de la Déclaration d'indépendance américaine [qu'il commente au début du livre qu'il a intitulé Otobiographies], à des institutions nouvelles. Mais il en doute. Le plus probable, selon lui, c'est que cela arrivera plus tard, après sa mort. La différance sera posthume.

 


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