Il y a un canal de l'absence comme il y a un fleuve de l'oubli. Le premier s'appelle l'Idve et coule à Paris; le second s'appelle le Léthé et coule à Tripoli. Au fruit du lotos qui fait perdre la mémoire a succédé la parole en débat, qui fait lâcher la présence.

L'Idve est un canal et non pas un fleuve. Il est artificiel, fabriqué de main d'homme, mais pas moins beau que les méandres de la Seine en lesquelles il finit par confondre son cours. D'étranges épaves y flottent, comme le n-e-i-r ou le (e).

Sur ses bords, au 231bis, se trouve une vaste demeure, l'ancienne maison de Danel Qilen qui fut deux fois, à deux époques différentes, atelier d'optique. C'est Bendito Sapintza qui l'a transformé en loft pour les besoins de l'Orloeuvre. Invisible depuis le fleuve mais visible depuis ce quai non répertorié sur les plans de Paris, ce lieu sans statut ni destination est aussi lisse que les eaux du canal, aussi inépuisable que les sources du fleuve. On croirait qu'il flotte au-dessus des berges, mais c'est une illusion; il s'y dilue. Il n'a pas plus de substance que les péniches qui le longent. Pourtant ils sont nombreux à s'y côtoyer, à y loger leurs conversations.

C'est à peine si l'Idve est un nom. C'est plutôt le signe du sans-nom, de l'anonyme en appel et en attente de nom.