C’est aussi simple que ça. Ceux qui passent à côté du cri sans l’entendre ignorent l’art actuel. C’est leur droit. Mais ceux qui en entendent à l’occasion quelques bribes, ceux-là savent que c’est un cri, et ce cri les obsède, ils se mettent à rechercher les occasions de l’entendre. Pas n’importe quel cri, un cri parasite, hétéroclite et hétérogène, un cri qui se nourrit de l’art, le détruit et le nourrit à son tour, et que la société émet chaque fois qu’on la blesse, c’est-à-dire tout le temps. Un cri absolument inaudible par le discours courant et par tous ceux qui n’ont compris du 20ème siècle que la peur qu’ils en perçoivent, épaisse et tenace (ce qui ne les dispense pas d’avoir été forcés de l’entendre, ce cri, de l’entendre pour ce qu’il est, inaccessible, inqualifiable, enfoui sous les continents et les rochers du réel et aussi dans les oeuvres, dans le réel des oeuvres, dans les théories des oeuvres et dans les interprétations des oeuvres que personne ne veut entendre, et dans le regard de dédain ou d’hypnose qu’on porte sur elles et dans l’être même des oeuvres).

Si on ne sait rien du cri lui-même, on peut tenter d’imaginer où il habite. Dans un tréfonds? Dans une cage? Dans un sac? Sous le lit d’un fleuve? Ce n’est qu’imagination. Ce dont il est composé est si difficilement figurable que souvent on lui substitue un déchet; sans cela, l’affinité étrange de l’art actuel pour le déchet serait inexplicable.