Freud, dans Malaise dans la civilisation, affirme qu'il n'a pas grand-chose à dire sur la beauté. Mais ses développements, dans ce texte et dans d'autres, pourraient bien contredire cette assertion. L'être humain, dit-il, doit renoncer à satisfaire ses pulsions. Dans la liste qu'il dresse des substituts possibles (l'art, la religion, l'amour, la drogue, la folie), la beauté occupe une position particulière, car elle seule est en rapport direct avec les organes sexuels; elle seule a directement partie liée avec l'inconscient.
L'hypothèse de Freud, c'est que la beauté a émergé chez l'homme en même temps que la station verticale. La dissimulation des organes génitaux a conduit à une inhibition partielle des pulsions sexuelles. Le but n'était plus exclusivement l'accouplement, mais l'objet dans son ensemble. Avec la pudeur, il y a eu déplacement de l'intérêt pour les organes génitaux vers des traits secondaires, considérés dès lors comme "beaux". L'oeil s'est partiellement mis au service du sexe, tout en préservant son deuxième maître : le moi. Ainsi la beauté reste-t-elle toujours ambiguë. Comme elle est liée originairement à la nudité, il y a toujours en elle et malgré tous les déplacements (du corps, de l'objet, du but de la pulsion) une part d'indécence. Derrière le beau, se dissimulent le dégoût et l'horreur, et le regard, tout en restant au service du principe de réalité, assure le passage de l'excitation au désir.
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