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TABLE des MATIERES : |
NIVEAUX DE SENS : | ||||||||||||||||
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"Je me déconstruis", départ de la pensée | "Je me déconstruis", départ de la pensée | ||||||||||||||||
Sources (*) : | |||||||||||||||||
Lucien Coërmer - "La sagesse du milieu", Ed : Galgal, 2007, Page créée le 25 juin 1998 | Si tu n'as ni idée, ni nécessité, ni position, ni moi, alors tu es un maître |
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Je vais vous parler de la position du maître. Voici une phrase de Confucius citée dans la traduction de François Jullien : Les quatre choses dont le maître était exempt : il était sans idée, sans nécessité, sans position et sans moi (Entretiens IX,4). Cest une traduction brève, simple, qui présente lavantage de nous être parlante, à nous modernes. Pour vous faire sentir limportance de la traduction, je vais vous en lire une autre, plus ancienne : (Couvreur, datée de 1895) : Le Maître évitait quatre défauts : il navait pas de désir désordonné, ni de détermination irrévocable, ni dopiniâtreté, ni dégoïsme. Cette dernière traduction est dune certaine façon plus explicite, mais dun autre côté, elle perd lélégance confucéenne. Cest pourquoi je ne lutiliserai pas, ou plutôt je ne lutiliserai quà titre daide, de soutien. Donc le Maître, tel quil est défini par Confucius, a quatre qualités, que je vais prendre lune après lautre. - le maître est sans-idée. Que veut dire Confucius? Est-ce quil veut dire que le maître manque dimagination, ou de savoir, ou dinitiative, à tel point quil nest pas capable davoir une seule idée? Non, je ne crois pas. Cest même linverse. Si lon accepte linterprétation de François Jullien, cela veut dire quil na pas didée qui lui soit propre, à lui. Le maître est ouvert à toutes les idées. Il est prêt à toutes les entendre, et le cas échéant, il est prêt à toutes les faire siennes. Avoir telle ou telle idée est une question de circonstances, doccasions; il ne faut jamais senfermer dans un système de pensée, quel quil soit. Dit autrement, selon Confucius, la sagesse, cest de garder toutes les idées sur le même plan, également accessibles, également disponibles à lesprit. Aucune n'est mise en avant. Si au contraire nous avançons une idée, si nous la faisons nôtre, tout le reste du pensable recule, et nous quittons la position de maîtrise. Quest-ce quune idée, pour Confucius? Cest un désir, comme lénonce la seconde traduction que je vous ai citée. Privilégier mon désir, à moi, sous la forme déguisée dune idée qui mappartiendrait, cest prendre le risque de retenir à toute force une idée inadéquate. - le maître est sans-nécessité. Quest-ce que ça veut dire? Le maître ne serait-il pas soumis à la nécessité, comme tout le monde? Serait-il au-delà de la nécessité? Pas du tout; cest même le contraire qui est défendu par Confucius. Le maître ne se soumet à aucune détermination irrévocable, car elle pourrait venir contrarier la nécessité telle quelle se présente à cet instant. Une soi-disant nécessité personnelle, qui viendrait contrarier la nécessité du monde, serait une illusion. Donc je me méfie de toute contrainte. Je reste souple, labile, à lécart de toute nécessité déterminée, pour rester à lécoute de la nécessité universelle, de celle que je ne connais pas et qui peut venir à moi de manière inattendue. Vous voyez, mes frères et soeurs, à quel point ces considérations confucéennes sont éloignées de notre mode de fonctionnement habituel. - Le maître est sans-position. Voilà qui est étrange. Quest-ce que ça veut dire, sans position? Lautre traduction donc nous disposons dit : le maître évite lopiniâtreté. Ce terme, opiniâtreté, doit nous mettre sur la voie, qui est celle du tao. Pour Confucius, prendre une position déterminée, fixe, quelle quelle soit, cest un défaut, cest être têtu, obstiné. Le sage ne se stabilise jamais dans aucune position, ni même nulle part. Le sage est disponible à toutes les positions, il nen est aucune quil sinterdit, et il nen est surtout aucune qui le définisse pour toujours. Quel est le quatrième élément refusé par Confucius? Il est dans la continuité des trois premiers : cest que le maître est sans-moi. Sans-moi. Voilà qui nous parle plus, à nous moderne. Dire cela, le maître est sans-moi, cest aller beaucoup plus loin que ce que dit la seconde traduction que je vous ai citée : il ne faut pas être égoïste. Dire que le maître est sans-moi, cest aller encore plus loin que labsence dégoïsme, cest dire quil est comme le vent, comme le souffle, comme lair, comme une trace deau dans de leau : il na pas de nécessité propre. Il se confond avec les éléments, il se confond avec le monde. Vous reconnaissez là un thème courant du bouddhisme. Le sage na pas plus didée que lunivers, il na pas plus de nécessité que la marche du papillon, il na pas plus de position prédéterminée quun météore dans lespace, on ne voit pas pourquoi il aurait un moi. Tel est donc lesprit, lessence de lattitude confucéenne. Mais prenons une autre démarche en remarquant que, chez Confucius, la pratique de la maîtrise et sa destruction sont liées. Cest là, dans la concomitance entre la maîtrise et sa disparition, que se situe peut-être le rapport entre notre culture la pensée chinoise. Confucius subordonne la maîtrise à limpossibilité de la maîtrise. Ou encore : il détruit la possibilité même de la maîtrise, en la réduisant au statut dun objet naturel, par exemple une feuille ou une pierre. Si, pour accéder à la maîtrise, nous sommes réduits à nêtre que cela, une simple feuille ou une simple pierre, alors la maîtrise est identique à son élimination, le maître est identique à son propre meurtre. Je me demande si une comparaison entre les idées confucéennes et celles du monde actuel a une valeur quelconque. La position confucéenne est radicalement étrangère à tout idée dune pensée libre, et encore plus à celle dun libre-arbitre. Elle est peut-être incompatible avec notre culture, et alors nous serions conduits à dire, à lencontre de Confucius, quil y a de la maîtrise, même si, dans notre expérience quotidienne, nous rencontrons bien peu de maîtres. A ce stade de ma réflexion, je me rappelle quelques idées de jeunesse, et je me demande sil ne serait pas justifié de suivre le président Mao Tsé Toung quand il prenait avec une certaine fermeté le contre-pied des thèses confucéennes (il est même allé jusquà interdire la lecture de Confucius, ce qui est un comble pour un chinois). Donc, par opposition à cette pensée confucéenne, reconnaissons que, dans notre culture : - nous avons le devoir de défendre notre propre idée sur tout ce qui se passe dans le monde et même hors du monde, sil le faut. - nous reconnaissons que nous sommes soumis à la causalité, mais nous ne nous y résignons pas, et dans la grande tradition des Lumières, nous cherchons à la maîtriser, à transformer le hasard en nécessité. - nous ne vivons pas nimporte où dans le monde. Nous avons une position, un lieu. Nous sommes de quelque part. Par exemple (je vais le prendre au niveau le plus basique) : nous sommes de France. Je ne parle évidemment pas ici dorigine ethnique, je parle du lieu où nous vivons. Nous vivons en France, et ça nest pas sans conséquence. Cest une chose que, souvent, nous oublions. Cest une banalité de le dire, mais être dici, de France, ça nest pas rien. La France est la terre de luniversel, elle lest vraiment, et pas seulement depuis une certaine Déclaration des Droits de lHomme. Elle lest depuis Charlemagne, à travers beaucoup de penseurs qui ont précédé les Lumières, comme par exemple Abélard, ou Rachi, ou Montaigne, ou bien dautres. Donc, nous sommes dun lieu, et nous assumons la tradition du lieu, et cela est radicalement incompatible avec le sans-position de Confucius. - nous avons un moi, nous avons une conscience, nous avons une volonté. Certes, nous néchappons pas à légoïsme; mais nous essayons de transmuer cet égoïsme en autre chose. Nous nous affirmons comme individus et nous partons de cette position dindividu pour affirmer les droits de lhomme et soutenir la construction dune société de justice. Tout cela est totalement incompatible avec la pensée de Confucius. Alors finalement, pourquoi est-ce que jai évoqué cette citation, puisque je semble arrivé à la conclusion quil ne faut pas sy conformer? Pourquoi vous ai-je entraîné sur ce chemin-là du tao (qui dailleurs, nest quun chemin particulier du tao)? Eh bien, parce que le maître qui a lambition de se mesurer à la question de la sagesse ne peut pas échapper à la position défendue par Confucius. Dans une certaine mesure, il faut renoncer à lidée, à la nécessité, au lieu, au moi. Cela reste à lhorizon de tout désir de sagesse. A ce stade, pour me faire comprendre, je vais introduire un vocabulaire nouveau. A mon avis, toute position de maîtrise suppose un certain désêtre, une certaine déstructuration, ou pour employer un terme plus moderne, une certaine déconstruction. Cest là que le 20ème siècle rejoint Confucius. Mais comment définir ce désêtre? Comment qualifier la part dabandon de lêtre, de défaillance, qui fait nécessairement partie de la maîtrise? Peut-être par la phrase maçonnique : La chair quitte les os. Il faut abandnner, dans une certaine mesure, sa chair visible, pour se laisser réduire à los de la rencontre et de loccasion, cest-à-dire à une certaine part de néant. Cest même peut-être la seule façon que nous ayons de supporter la modernité. En définitive, entre lOccident et lOrient, il faut peut-être viser à un certain compromis. Nous devons tenter dhabiter dans un entre-deux inhabitable : entre le sans-idée et la volonté de penser, entre le sans-nécessité et le désir dassumer notre personnalité, entre le sans-position et la terre, entre le sans-moi et la singularité, entre le détachement et le militantisme, bref entre le sans-être et lêtre, nous navons dautre choix que dessayer de tenir à peine assis entre deux chaises, entre la sagesse et la philosophie, entre le retrait du monde et lengagement, entre la voie du milieu et le choix déterminé de son propre camp. Cest cela la position du maître, et cest aussi une non-position. |
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Création
: Guilgal |
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Lucien RepTache VM.SAN V.maitre Rang = VHGenre = Pmasc - |
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