Tout l'être du pianiste est absorbé par la musique : son corps, son esprit et surtout sa tête, qui disparaît de l'image, remplacée par la partition. En revanche la jeune inspiratrice roule des hanches et montre cyniquement son sexe, persuadée que sans elle, rien ne se produirait.

Pourquoi cette image donne-t-elle l'impression que faire de la musique est si douloureux? Pourquoi l'éclair lumineux qui traverse la pièce et fait brutalement ressortir la jambe de la jeune femme ainsi que le tronc du pianiste le plonge-t-il, lui, dans l'obscurité?

On peut prendre cette image comme une illustration de la façon dont la voix circule à l’époque moderne : en réservant un espace où chacun protège le secret de sa bulle. Le pianiste a la tête dans sa partition. Dans son aveuglement, il pénètre une femme-sexe qui ne s'intéresse pas à sa musique. Une moitié de la femme regarde vers le bas, oubliant autrui; cette moitié semble absorbée par l’autre moitié qui chante vers le haut. La musique du pianiste lui est indispensable, mais les désirs du pianiste lui sont absolument étrangers. Il en est de même des autres personnes, productrices ou auditrices de son. Une vibration circule entre elles. Cette vibration ne traverse pas les bulles car ce n’est pas son objet, bien au contraire : son objet est de fabriquer et de consolider les bulles, de transformer les cercles en sphères.