Dans La parole soufflée (1965), Jacques Derrida esquisse, à partir des textes d'Antonin Artaud, une définition de la différance, dont il dira plus tard que, n'étant pas un concept, elle est indéfinissable. Tout se passe comme si le passage par Artaud facilitait cette esquisse. Contre quoi Artaud se révolte-t-il? La production de signes lisibles, reposant sur des différences déterminées. Une telle production, qui se traduit au théâtre par un texte d'auteur, un système organisé, organique, est insupportable pour lui. Il voudrait revenir avant les dérivations qui conduisent à la parole articulée, avant qu'elles ne soient devenues possibles. Or la différance est ce qui, à la fois, produit le système des différences et interdit qu'il ne se fige en oppositions stables. Cette tension singulière, qui se manifeste chez Artaud par une révolte, est ce qui intéresse Derrida.

Artaud s'est révolté contre l'impérialisme de la lettre. Il lui a fallu revenir en-deça du temps de la différance, en ce point où les organes du théatre (auteur-texte/metteur en scène-acteur-public), ne se distinguant pas encore, ne sont que des forces qui se manifestent de manière illisible. C'est la nuit qui précède le livre, quand le signe, qui n'est déjà plus une chose, n'est pas encore séparé de la force.

En 1939, ce rejet du signe articulé a pris la forme de Sorts et d'envoûtements, comme celui-ci, envoyé à Grillot de Givry.

Texte écrit par Artaud : "[Et] ce S[ort] [ne] sera / pas rapp[or]té. / Il ne sera pas / reporté. / Son efficacité d'action / est immédiate et / et éternelle./ Et il brise tout / en[vo]ûtement."