Lire Derrida, L'Œuvre à venir, suivre sur Facebook | Le cinéma en déconstruction, suivre sur Facebook |
TABLE des MATIERES : |
NIVEAUX DE SENS : | ||||||||||||||||
Derrida, Lévinas | Derrida, Lévinas | ||||||||||||||||
Sources (*) : | La pensée derridienne : ce qui s'en restitue | La pensée derridienne : ce qui s'en restitue | |||||||||||||||
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 25 août 2005 | Emmanuel Lévinas | [Derrida, Lévinas] |
Emmanuel Lévinas | ||||||||||||||
Derrida, l'éthique | Derrida, l'éthique | ||||||||||||||||
1. Un nouage plus ou moins serré, mais ancien. Si la rencontre entre Jacques Derrida et Emmanuel Lévinas est un événement, cet événement a lieu dans la durée, comme en témoignent les textes qu'ils ont écrit l'un sur l'autre : - 1963 : Violence et métaphysique (Derrida, in L'écriture et la différence, publié en livre en 1967). Cet essai de plus de cent pages est la première étude d'envergure parue sur l'œuvre de Lévinas. Son contenu est ambigu. D'un côté, Derrida semble prendre la parti de la phénoménologie (Husserl, Heidegger) contre Lévinas; mais d'un autre côté, il affirme la légitimité d'une démarche qui cherche à philosopher depuis l'extérieur, le tout autre de la philosophie. "Avant" la rupture grammatologique (1966), Derrida appelle à un dialogue entre sources grecques et juives qui, dans la lignée de Lévinas, restera un fil directeur de son œuvre. - septembre 1963 : au moment où Derrida achève son essai, paraît le texte de Lévinas intitulé "La trace de l'autre". Le concept de trace, devenu archi-trace, sera déterminant dans l'élaboration de la déconstruction. - 1976 : Jacques Derrida (texte de Lévinas publié dans le recueil Noms Propres). Dans ce petit article élogieux, Lévinas suggère que les thèses de Derrida pourraient se prolonger en direction des siennes. - 1978 : Le livre de Lévinas, Autrement qu'être et au-delà de l'essence, peut être lu comme une réponse à l'essai de Derrida écrit en 1963. Peut-être ce livre a-t-il joué un rôle dans l'évolution "éthique" de Derrida à partir des années 1980. - 1980 : En ce moment même dans cet ouvrage me voici (Derrida, publié en livre dans Psyché 1, Inventions de l'autre, 1987). Ce qui arrive, chez Lévinas, "en ce moment-même", c'est une série de retraits. - 1984 : Altérités (participation de Jacques Derrida au colloque organisé au centre Sèvres, qui dépend des facultés jésuites de Paris). Dans ses réponses aux questions, Derrida affirme partager l'engagement de Lévinas. - 1986 : A la fin de la seconde séance du séminaire 1986-1987 sur Le théologico-politique, Derrida signale l'ambiguité de la position de Lévinas par rapport à Spinoza. En effet Lévinas reprend la position de Jacob Gordin qui estime que Spinoza a inoculé aux Juifs une pensée européenne (christianisante), mais au nom d'une morale elle-même "européenne". cf ici. - 1995-96 : Adieu à Emmanuel Lévinas (Derrida, allocution prononcée à l'occasion du décès d'Emmanuel Lévinas le 27 décembre 1995, suivie d'une intervention prononcée le 7 décembre 1996, lors des journées d'étude "Visage et Sinaï". Ce texte a été publié en 1997). Dans le nom "Sinaï", comme dans celui de "Visage", éthique et politique se croisent sans se croiser, dans un abîme de silence. Lévinas, qui avait 25 ans de plus que Derrida, a commencé à écrire bien avant, et pourtant le dialogue entre eux a été fécond, productif. Entre les deux hommes, le nouage n'a jamais cessé. La relation est complexe et ambiguë. D'un côté, Derrida se dissocie d'un certain conservatisme de Lévinas : le visage n'est-il pas un nouveau succédané de la présence? L'éthique du semblable ne réitère-t-elle pas, à sa façon, le privilège du souverain? Peut-on confiner la femme et la féminité dans la position de l'accueil? etc. (voir ci-après). D'un autre côté, Derrida affirme sa proximité avec ce qu'il nomme l'ultra-éthique de Lévinas. "Je suis prêt à souscrire à tout ce qu'il dit" déclare-t-il en 1984. Les purs concepts derridiens, inconditionnels, sont indissociables de la pensée lévinassienne. Le chiasme existe depuis le départ. Il les sépare, mais passe aussi à l'intérieur de chacune des deux pensées, toutes deux déchirées entre ontologie, philosophie de source grecque, phénoménologie et héritage juif (messianisme, promesse).
2. D'une oeuvre à l'autre. Jacques Derrida a très tôt (dans une note du début de Violence et métaphysique, en 1963, p124 de L'écriture et la différence), insisté sur la qualification d'œuvre pour les écrits de Lévinas. Il ne s'agit pas d'un ouvrage de philosophie ni d'un traité, explique-t-il, mais d'une œuvre. Il développe cette analyse dans En ce moment même dans cet ouvrage me voici où, respectant le choix de Lévinas qui, dans une certaine citation, invite à une ingratitude absolue, il lui arrive d'écrire Œuvre avec une majuscule. Respecter le don de l'Œuvre lévinassienne, ce serait accepter, dans le même temps, une dette et une absence de dette, un engagement et une absence totale de reconnaissance et de restitution. Cette injonction paradoxale met une dissymétrie au coeur de leur relation. En s'appuyant sur l'expérience vive de la rencontre du visage tel qu'il le définit, c'est-à-dire comme lieu de l'absence, du retrait, Lévinas rompt avec la neutralité ou l'anonymat de l'étant indéterminé, du "Il y a", et produit un type d'écriture singulier, unique : une œuvre qui, par elle-même, au-delà de toute économie, met en œuvre l'inconditionnalité comme telle. Ce mot, Laquelle?
3. Ce que Lévinas invente : un nouveau langage, inconditionnel. Le texte de Lévinas nous oblige, il nous engage. Mais comment réussit-il à faire cela? Jacques Derrida analyse sa façon d'écrire, l'organisation de ses phrases et ce qu'elles produisent performativement (un performatif singulier, sans événement présent, comme on n'en a jamais décrit). Par une série d'interruptions, de déchirures, de retraits, il met fin à l'autorité du Dit, il introduit des formulations inventives, nouvelles, auxquelles le lecteur peut croire ou non. Cette démarche qui laisse dans l'écriture des espaces de jeu (strictures) inscrit dans l'oeuvre la trace de l'effacement. En laissant oeuvrer l'oeuvre, c'est un "tout autre" qui émerge, un "Il faut" sans autorité, qu'on ne peut attribuer à aucune présence proférable, et qui pourtant nous contamine au-delà de l'oeuvre. Ce nouveau langage inventé par Lévinas est un coup de force, une déclaration de paix. Par un acte performatif, il ouvre le principe d'une hospitalité infinie, inconditionnelle, d'une éthique, l'éthicité même. C'est une mutation, un saut dans la philosophie et aussi dans le discours, une nouvelle expérience de l'altérité qui repose sur une séparation radicale de l'autre, pour laquelle Lévinas reprend le mot de sainteté, qu'il oppose au sacré. Avec cette éthique du retrait, le concept de sujet (hôte, otage) est subordonné à l'hospitalité.
4. L'accueil du visage, premier "oui" à l'autre. En 1963, Derrida reproche à la thématique du visage développée par Lévinas de réaffirmer la primauté de l'expression, de la parole et de la voix, ce qui renvoie à une métaphysique, voire à la tradition la plus classique de la philosophie. Les propositions qui affirment la prééminence du discours oral au détriment de l'écriture : axiome d'un moi indifférencié, homogène; oubli humaniste de la différence entre l'être et l'étant; croyance en une vérité de l'expérience vive (le visage) se situeraient dans le prolongement du logocentrisme. Toujours en 1963, il conteste que le visage puisse, comme tel, "pacifier" la relation à l'autre. Face à une violence originelle irréductible, il soutient un concept de paix économique, qui ne peut se concrétiser que par un compromis entre entités finies. Mais lorsqu'il analysera à son tour le "oui" de l'autre ou le "oui" à l'autre, Derrida se rapprochera des thèses et aussi du vocabulaire de Lévinas. Le visage deviendra le nom d'un acquiescement pré-originel, d'un appel qui s'entend depuis la promesse d'une réponse, d'un accueil hospitalier de l'autre infini. La paix ne procédera plus d'une institution juridico-politique, comme chez Kant et dans Violence et métaphysique, mais d'un concept inconditionnel, un accueil an-archique, anachronique. Il n'interpréte plus le visage lévinasien sous l'angle de la présence, mais comme définition spectrale du tout autre.
5. Grecs et Juifs. Les sources de la philosophie sont grecques. D'un côté, Lévinas et Derrida s'inscrivent dans cet héritage, ils le prolongent. Mais d'un autre côté, chacun à sa façon, ils s'en dissocient : c'est l'écriture pour Derrida, l'éthique pour Lévinas. Comme mouvement de la différance, l'écriture est hors-la-loi; tandis que le rapport éthique, l'éthique de l'éthique, est sans loi. Par la tension aporétique qu'il introduit entre l'expérience du visage et l'altérité du tout autre, Lévinas laisse venir, dans la philosophie, le non-philosophique. Le désir métaphysique lévinassien, fondé sur l'extériorité irréductible de l'autre, rejoint le tout autre derridien. Tous deux tentent de penser, dans une langue qui reste philosophique, l'infiniment-autre, une éthique qui disloque le logos, un face-à-face qui, sans langage, fait surgir l'impardonnable. Sur un point, il semble que ce soit Jacques Derrida qui se soit rallié à Emmanuel Lévinas. Lévinas affirme dès le départ et sans ambiguité que l'altérité de l'autre est irréductible, qu'elle précède toute ontologie. Derrida, influencé par Heidegger, résiste à cette thèse. Rien ne viendrait, selon ce premier Derrida, avant la différence de l'être et de l'étant. Mais plus tard, il acceptera l'idée qu'avant tout monde, on acquiesce à l'autre, on s'engage vers lui, on le porte.
6. Politique et justice, entre le fini et l'infini. Aujourd'hui, comme à la fin du 20ème siècle (cette époque pendant laquelle Lévinas et Derrida ont écrit la plupart de leurs œuvres), les crimes contre l'hospitalité sont innombrables. Il n'y a pas, entre éthique et politique, de limite tranchée. Ces crimes exigent une éthique en excès, une conversion éthique du concept du politique - au-delà du politique et aussi dans le politique. Par cette conversion, il faut que l'hospitalité inconditionnelle, infinie soit aussi loi de justice effective, finie, au-delà du droit et aussi dans le droit. Cet "au-delà-dans" trouvé dans Lévinas, qui, comme tout concept, y compris par exemple "politique" ou "paix", ouvre au-delà des murs, Jacques Derrida le reprend à son compte. Même si Dieu n'existe pas, même s'il nous abandonne, même s'il se désintéresse de l'alliance, malgré l'incertitude, le silence, la dissymétrie, la séparation, la non-réponse de l'autre, il ne faut pas renoncer à l'adresse "à-Dieu" : viser l'au-delà du politique, saluer l'extériorité, l'étrangeté, l'infini, mais sans jamais renoncer aux transformations effectives, dans le politique.
7. Illéité, Elléité, Féminité. Dans le rapport de Lévinas à la féminité, Derrida note un contraste. D'une part, il tend (classiquement) à confiner la femme dans la demeure, l'intériorité. Le comportement de celle qui, dans sa propre maison, accueille l'invité, est réglé par la différence des sexes. Mais si, d'autre part, dans cette intériorité, elle marque l'accueil absolu, inconditionnel, dans un lieu absolument originel, non appropriable, alors la figure du tout autre, peut-être la figure du tout autre la plus radicale, la plus essentielle pour lui (Lévinas), devient féminine. Quand, dans ses ouvrages, il déclare Me voici, en ce moment même, on ne sait plus de qui il s'agit. Masculin ou féminin? Entre le "Il" de l'illéité ou le "Elle" de E.L., entre un tout autre déjà marqué de masculinité et une autre altérité dictée en secret par un surcroît d'altérité non dite, c'est un signataire disloqué, sans nom, qui soussigne non seulement son oeuvre (signée E.L.), mais toute oeuvre (El...). Et Jacques Derrida va encore plus loin. En affirmant que Lévinas aura inventé un tout autre qui "aura obligé" à une dislocation absolue : de tout contrat, tout endettement, du Même et aussi de la différence des sexes, il contresigne lui aussi ce retrait général, cet effacement qui laisse venir le "Il". En ce moment même, il ne distingue plus sa voix (J.D.) de celle qui, déjà, aura ouvert la possibilité de dire : il faut.
8. Ethique : un "Il faut" lévinasso-derridien? En 1963, Jacques Derrida dénonce l'impossibilité d'une "non-violence absolue", telle que Lévinas la proclame. Cette impossibilité, il la réitérera en 1996 sur un autre mode, quand il fera appel à la voix de fin silence, celle que le prophète Elie aura entendu avant de sortir de sa grotte, pour exiger que ne soit franchi l'abîme entre éthique et politique. Dieu ne répond pas. Il nous laisse dans ce silence, cette contradiction, et pourtant, en l'absence de tout calcul possible, il faut décider, il faut aller vers le politique. Telle est pour lui la signification du nom Sinaï. Ce mot appartient à plusieurs instances, qu'il nous appartient (aujourd'hui) de penser ensemble. Il dit cette exigence de justice qui sera venue avant même l'événement biblique du Sinaï. Cet événement unique, daté, peut être remplacé par d'autres expériences elles-mêmes uniques, qui composent chaque fois un nouvel accord entre fini et infini. Cet accord, que Lévinas nomme : visage, il faut l'accueillir. Mais la justice n'arrive jamais pure. Elle vient avec l'institution, le droit, l'Etat - ce tiers qui peut faire venir avec lui la violence (voire pire). Dès le commencement, l'éthique infinie est trahie, je me parjure. L'exigence d'une non-violence radicale fera retour chez Derrida sous d'autres noms : don, pardon ou hospitalité inconditionnels. Il reconnaîtra que ce qui aura été dit dans l'oeuvre de Lévinas, cette promesse à la fois nouvelle et plus vieille que la langue, l'engage lui aussi. En écrivant "Il aura obligé", Derrida s'inclut, avec l'oeuvre qu'il signe, dans cette obligation qui "est" l'éthique même et probablement (dit Lévinas) l'essence du langage. Lui aussi aura reçu, en tant que lecteur qui peut ou non choisir d'en être le destinataire obligé, le don d'une responsabilité sans limite - un don non remboursable, anéconomique, qui ne doit donner lieu à aucune dette ni aucune gratitude.
9. L'aporie ultime. Citons Derrida au point qui est peut-être celui de la plus grande tension. D'un côté, entre la théologie négative et quelques textes talmudiques, il renvoie au re-trait ab-solu du nom révélé de Dieu. Mais d'un autre côté, il fait observer que Lévinas, comme Heidegger ou Freud (et ce n'est pas un hasard s'il mentionne précisément ces trois noms), reste contaminé par une bio-anthropo-théologie cachée. C'est cette tension qui laisse les questions interminablement ouvertes, dans leur état aporétique.
|
-------------- Propositions -------------- -L'extériorité irréductible de l'autre appelle le désir, qui est séparation infinie, rencontre aventureuse hors de soi, eschatologie désespérée -La pensée de Lévinas nous fait rêver d'une dépossession inouïe : disloquer le logos grec et libérer la métaphysique en faisant appel à l'éthique -Par un coup de force qui n'est autre qu'une déclaration de paix, la déclaration de la paix même, Lévinas invente un nouveau langage qui ouvre à l'hospitalité -L'hospitalité infinie, inconditionnelle, c'est l'éthicité même, le tout et le principe de l'éthique -"Devant une pensée comme celle de Lévinas, je n'ai jamais d'objection. Je suis prêt à souscrire à tout ce qu'il dit" (Jacques Derrida, 1984) -Par son écriture, son geste stylistique, ses métaphores, ses retours et mouvements insistants, le texte de Lévinas n'est pas un traité : c'est une oeuvre -Par sa problématique du visage, Lévinas affirme la primauté de l'entendre et de l'expression, la hauteur de la parole et de la voix -Une oeuvre, il ne faut rien lui rendre, il faut la lire sans dette, sans faute, au-delà de toute restitution possible, dans l'ingratitude absolue -[L'œuvre d'Emmanuel Lévinas "aura obligé" Jacques Derrida à mettre en oeuvre, par son Oeuvre, l'inconditionnalité comme telle] -Ce qui aura fait oeuvre dans l'oeuvre d'Emmanuel Lévinas, c'est qu'"Il aura obligé" à penser une autre manière de penser l'obligation du "Il faut", une autre manière de penser l'oeuvre -"L'Oeuvre pensée radicalement est un mouvement du Même vers l'Autre qui ne retourne jamais au Même"; c'est une liturgie non religieuse, "l'éthique même" -On ne peut se retirer de la solitude du "Il y a" anonyme et neutre que par la vérité impensable de l'expérience vive : rencontre du visage -Le visage ne signifie pas, il s'exprime, il est derrière le signe, il se donne en personne, comme la parole vive ou la voix -Ce que Lévinas nomme "visage" ou "otage", il faut le lire comme un nom propre qui compose un nouvel accord, inouï, entre le fini et l'infini : à-Dieu, l'appel du nom par le nom -L'altérité pure et nue du visage lévinassien, dépouillée de toute visibilité, qualité, prédicat ou propriété effective, c'est une définition spectrale du tout autre -L'essence du pardon exige un face-à-face personnel qui n'engage que des singularités absolues -Dans la tradition philosophique grecque, l'éthique, dissociée de la métaphysique, est subordonnée à une autre instance; en les associant, Lévinas ouvre une pensée autre -Le moi de Lévinas, sans différenciation ni altérité intérieures, est assimilé à l'homogénéité du Même et de la totalité finie -Par la tension aporétique qu'il instaure entre expérience empirique du visage et altérité infinie du tout autre, Lévinas laisse venir, dans sa philosophie, le non philosophique -Avec Lévinas, le judaïsme comme expérience de l'infiniment-autre se produit comme logos -Lévinas propose à la fois un humanisme et une éthique : accéder comme autre à l'étant suprême par la voie royale de l'éthique -L'éthique de Lévinas est sans loi, elle vise l'essence du rapport éthique, une éthique de l'éthique -Pour dire l'altérité absolument irréductible de l'autre, il faudrait s'interroger sur ce que signifie "autre" avant les déterminations de l'heteros grec et de l'autrui judéo-chrétien -Ce qui, dans l'oeuvre de Lévinas, fait son oeuvre, plus vieux que l'oeuvre, ne peut pas se dire avant elle -Un "oui" de l'autre précède toujours déjà, pré-originellement, le "oui" à l'autre - cette réponse qui ouvre à l'infini de l'autre, l'accueille, lui répond -Il n'y a pas de "premier" oui, le oui est déjà une réponse, un appel qui ne peut s'entendre lui-même que depuis la promesse d'une réponse -Par son écriture, par une certaine manière de lier, serrer, entrelacer dans une série le Dire et le Dit, Emmanuel Lévinas invente le tout autre -L'oeuvre d'Emmanuel Lévinas, par sa gratuité, au-delà même de la pensée et du pensable, c'est l'éthique même -Chez Lévinas, un "dire à Autrui" précède toute ontologie -L'Oeuvre de Lévinas, signée "Il", est dictée en secret par un surcroît d'altérité non dite : l'hétéronomie absolue du "Elle" qu'on retrouve dans son nom, "E.L." -La sériature derridienne, définie à partir de la pensée de la trace chez Lévinas, renvoie au re-trait ab-solu du nom révélé de Dieu -Avec le sujet-otage, ce quasi-moment pré-originaire d'accueil du tout autre, du Il, du séparé, Lévinas subordonne le concept de sujet à une éthique du retrait, de l'hospitalité -Dans l'éthique du semblable où la victime prend la place du souverain, l'idée de souveraineté n'est pas contestée, mais seulement déplacée -On ne peut réprimer la pire violence - celle du silence primitif et pré-logique -, respecter l'autre, que dans la finitude d'une expérience, un compromis pacifiant entre le moi et l'autre -Quand un monde disparaît, ou quand il se retire, ou avant même qu'il ne soit apparu - je dois m'engager envers toi, cet autre, te porter -Une responsabilité antérieure à tout engagement, qui nous oblige à l'égard des autres, est probablement l'essence du langage -La non-violence absolue dont Derrida dénonce, en 1963, l'impossibilité, fera retour plus tard dans son oeuvre comme don ou hospitalité inconditionnels -La responsabilité (éthique) qui répond (à) / de l'autre comme un passé qui n'aura jamais été présent, c'est l'essence du langage -Le don de Lévinas au lecteur, c'est la possibilité d'être livré à une responsabilité sans limite, de s'obliger librement à la dislocation du même -La loi de l'hospitalité exige que, avant le chez-soi, il y ait un lieu ouvert : le chez-soi sans chez-soi -Tout commence par la paix, par l'accueil du visage de l'autre dans l'hospitalité; l'hostilité, la guerre, l'allergie, dérivent de l'oubli ou du rejet de cette bonté an-archique -La paix kantienne ne peut être qu'instituée, juridico-politique; mais alors elle n'est pas perpétuelle, ce n'est pas une véritable paix -Une déclaration du type : "En ce moment même dans cet ouvrage me voici" produit chez Lévinas un éclatement du "Me voici", une dislocation du Même -La différence sexuelle marque l'ouverture de l'éthique : un accueil absolument originaire, dans un lieu non appropriable, est féminin -Comme la psychanalyse freudienne, la signature de Lévinas assume la marque sexuelle (masculine), et abandonne la différence sexuelle à un tout autre déjà marqué de masculinité -En disant de l'oeuvre de Lévinas : "Elle aura obligé", Jacques Derrida ne distingue plus sa voix ni de la sienne (E.L.) ni du tout-autre, féminin, qui la contresigne -L'altérité féminine selon Lévinas, c'est la préséance de l'accueil dans sa propre maison, qui peut toujours se transformer en intériorité réglée par la différence des sexes -L'oeuvre d'E.L. aura donné à penser une Oeuvre qui, avant même ce qu'elle en aura dit, aura obligé à une dislocation absolue de tout contrat, endettement ou circularité -L'oeuvre de Lévinas, qui aura obligé à une autre pensée du nom, aura été signée par un "Il" disloqué, sans nom, qui soussigne toute oeuvre et met en oeuvre tout ouvrage -Il faudrait pour l'oeuvre d'Emmanuel Lévinas définir un performatif sans événement présent, comme on n'en a jamais décrit, mais que toute proposition présuppose -Pour répondre de l'oeuvre d'E.L., il aura fallu passer par ce qu'elle dit de l'Oeuvre : qu'elle ne lui revient pas mais qu'elle est une performance du tout autre, qui nous contamine -C'est en laissant faire la stricture que l'écriture de Levinas aura fait son oeuvre : une obligation qui oblige -Emmanuel Lévinas (E.L.) ne fait pas oeuvre, il laisse oeuvrer l'oeuvre, il la laisse faire oeuvre par la "sériature", cette série de ratures ou retraits qui inscrit la trace de l'effacement -L'éthique, c'est l'interruption de soi par soi : une séparation radicale qui conditionne l'hospitalité et la subjectivité du sujet hôte, otage, responsable d'autrui -Aujourd'hui, les crimes contre l'hospitalité requièrent une éthique en excès, par-delà le politique, une conversion éthique du concept du politique -Entre éthique et politique, nous parlons depuis un silence qui nous expose à la non-réponse de l'autre : césure intime, contradiction interne au Dire, ContraDiction -Il faut l'hospitalité au pire, qui à la fois appelle et exclut le tiers, pour laisser venir la justice, accueillir l'autre et se protéger contre la violence de l'éthique -La justice commence avec un parjure : en engageant, avant tout contrat, l'éthique infinie de ma responsabilité pour l'autre, je fais surgir le tiers qui la trahit par le droit -Un concept est indestructible dans son identité et l'unité de son noyau sémantique; mais tout concept, par exemple "politique" ou "paix", ouvre au-delà des murs, "au-delà-dans" -Avec l'à-Dieu, Lévinas donne à la langue française la chance de saluer silencieusement l'autre en tant qu'il n'est pas, qu'il appelle depuis l'au-delà de l'être -Il faut, aujourd'hui, une hospitalité qui s'adresse à un Dieu qui puisse ne pas exister, nous abandonner, se désintéresser de l'alliance, s'exempter d'amour ou de désir envers nous -A Jérusalem comme dans les villes refuges, l'adresse à-Dieu exige plus qu'un accueil, une hospitalité qui soit aussi loi de justice effective, au-delà du droit dans le droit -Heidegger, Freud ou Levinas, témoins d'un questionnement qui laisse les frontières interminablement ouvertes, restent contaminés par une bio-anthropo-théologie cachée -Par son absence, l'écrivain pratique l'écriture comme différance et économie de la mort, oubliant l'infiniment autre -Jacques Derrida est le premier élève de Lévinas, car il poursuit sa réflexion sur le temps dans son rapport à la lettre -Chez Lévinas, le mot "éthique", ce point de rupture, n'est qu'un pis-aller grec pour traduire le discours hébraïque sur la sainteté du séparé (kadosh) -Une "voix de fin silence" vient au prophète Elie. Puis (une autre voix) : "Qu'as-tu à faire, toi, ici? - Va"; ce silence vient à nous depuis l'abîme entre éthique et politique -Qu'on puisse reconnaître une Torah d'avant le Sinaï entraîne vers la logique à peine pensable où l'unique peut être remplacé, dans l'expérience même de l'unique -Le nom "Sinaï" porte ce qui sera venu avant Sinaï : le visage, le retrait du visage, et ce qui dans le Dire contredit le Dire : la justice -Le nom "Sinaï" appartient à plusieurs temps disjoints, plusieurs instances qu'il nous appartient de penser ensemble |
||||||||||||||||
|
|
||||||||||||||||
|
|||||||||||||||||
Création
: Guilgal |
|
Idixa
|
|
||||||||||||
Derrida DerridaLevinas AA.BBB DerridaCheminementsNM.LE.VIN HebLevinasVD.ERR DerridaEthiqueKA.JJM AV_DerridaLevinas Rang = zQuois_LevinasGenre = - |
|||||||||||||||