Les lettres peuvent être bavardes ou muettes. Ce dernier cas, plus rare, est aussi plus précieux : le aleph des hébraïsants ou le e (muet) des français. La productivité de la lettre sa cache alors derrière son absence, laissant entendre qu'il y a un secret de la lettre. Elle est repliée sur elle-même comme un monde étranger, le symbole d'une autre réalité. On la tient à distance, illisible, du bout des doigts ou à bout de bras, soulignant sa dangerosité.
La lettre se produit dans l'écart, toujours impropre à elle-même, comme le point sur la lettre (i). Elle n'a pas besoin de parler pour se transmettre.
Dans la peinture, la lettre détonne. Elle fait trou (comme chez Adami). Bien que l'image l'absorbe et la jette hors langue, elle reste lisible. Ce croisement, ce chiasme entre deux dimensions hétérogènes, a quelque chose d'illégitime. Un écrit dans une image reste un choc, une percussion, un appel à autrui qui s'empare du regard, une vocalisation, une pensée inavouable, une affirmation dans un monde invisible. La peinture contemporaine use et abuse de ce contraste.
La pensée occidentale s'appuie sur l'écrit, et la pensée juive (comme la gnose) danse sous la lettre - équilibre instable entre mystique et interprétation.
|