Pour Saussure, la scientificité de la linguistique exige que le champ linguistique ait des frontières rigoureuses, qu'il soit un système réglé par une nécessité interne, que sa structure soit close. L'écriture phonétique permet de répondre à cette exigence. Il y a une sorte de circularité : tant qu'on fonde la langue sur le système phonétique, on est certain qu'elle est close. Mais une écriture qui ne serait pas réductible à la phonè (qui ne pourrait pas se clore dans le système phonologique) deviendrait fautive, voire menaçante : elle serait vécue comme violence.

Une écriture phonétique universelle n'existe pas. Toute écriture est nécessairement infidèle à la parole vive. Du non-phonétique fait toujours irruption dans l'écriture. Une telle irruption n'est pas un incident de parcours (comme le prétend Saussure), on ne peut pas l'expliquer par la psychologie ou par les passions. Ce n'est pas une crise passagère, c'est un phénomène propre au langage, une crise du logos. Une autre écriture, plus originelle, hante le langage.

Une écriture phonétique n'est qu'un modèle, un instrument, une technique de représentation. Elle détermine un système de langue qui identifie l'écriture à la parole pleine, à la présence : c'est ce que Derrida appelle le logocentrisme aujourd'hui en crise.