A cheval entre la philosophie et le commentaire biblique, la Cabale n'a jamais cessé d'avoir un impact sur nos contemporains. Nous la pratiquons avec d'autres grilles de lecture, sans perdre de vue les quatre niveaux d'interprétation, en nous appuyant sur les maîtres les plus récents, de Gershom Scholem à Moshé Idel, du regretté Charles Mopsik (traducteur du Zohar) à Benjamin Gross, en passant par Marc-Alain Ouaknin ou même Hannah Arendt ou Jacques Derrida [si l'on admet qu'il puissent avoir eu tous deux, notamment le second, leur Cabale cachée].
Probablement née quelque part entre l'Espagne et la France méridionale sur la base de sources beaucoup plus anciennes mais indéterminées, partant du quiproquo initial ou du retrait d'un simple point, elle a fait surgir les sefirot du néant. Elle a soutenu que par le simple fait de vocaliser les 22 lettres de l'alphabet hébraïque (sauf l'aleph imprononçable), de les compter (guématria) et de les combiner, pouvait nous élever à la création. Avec presque mille ans d'avance, elle a inauguré la proposition post-moderne selon laquelle le texte est son propre auteur. Elle a fait espérer le salut et le dévoilement (galgal) - sans grand succès.
De manière étrange, elle est aujourd'hui plus compréhensible et plus proche de la modernité que Maïmonide (trop aristotélicien, trop rationaliste). C'est elle le coeur et l'essence de la tradition juive.
Au 13ème siècle, Abraham Aboulafia était persuadué que, par la déconstruction des mots et la permutation des lettres (tserouf), il deviendrait prophète ou messie.
Au 16ème siècle, Isaac Louria y a introduit trois innovations majeures, qui sont aussi trois moments de la création : le retrait (tsimtsoum), la brisure des vases (chevirat hakelim), la réparation (tiqoun). Un temps de concentration pour laisser place à autrui, un temps d'éparpillement et un temps d'unification. Ce système n'est pas dialectique. Il ne vise ni la cohérence, ni l'harmonie. Dès le début, un reste (rechimou) le perturbe, et ce reste est inéliminable.
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