Au départ, on considérait l'Internet comme un instrument pratique dont on pourrait se servir. On pensait qu'avec un peu d'expérience, on résoudrait les difficultés pratiques. Mais le Réseau a rapidement pris une ampleur qui inversait la situation. C'est nous qui étions son instrument, et lui notre monde, immaîtrisable. Il n'était pas un moyen d'accéder aux choses réelles, il était lui-même une chose et un référent. Il ne donnait pas une vraie ou fausse impression de l'univers, il était à lui seul un genre d'univers, inédit, avec sa permanence et ses qualités propres. Mais cette impression elle aussi était fausse, car notre relation à l'Internet n'est pas passive. C'est nous qui le fabriquons, c'est nous qui le dégageons de sa gangue machinique et lui donnons du sens. Sans l'intervention d'un utilisateur, il n'est rien.
Si l'espace de dissémination est ce qui vient toujours en plus, sans téléologie ni synthèse, l'Internet en est un bon exemple. Son côté chaotique, déraisonnable, choque les partisans attardés des Lumières, mais séduit par son ubiquité et sa capacité à bousculer les institutions politiques.
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