Chaque époque a ses caractéristiques. Et si celle que nous vivons, le Contemporain, se définissait par la renonciation à toute définition claire et univoque de l'humain? Plus rien de ce que les civilisations antérieures avaient accepté et reconnu n'est à l'abri des critiques. Il nous revient de vivre sous la garde de cette injonction paradoxale, ce double bind : organiser les grandes funérailles de l'homme, sans pour autant renoncer à l'humanisme. Comment réaliser un tel exploit?
Au moment où les sciences ont enfin les moyens de répondre à la question Qu'est-ce que l'homme?, elles doivent bien constater qu'on ne peut pas y répondre. Tout indique que l'homme n'a pas de substance, qu'il est fait des mêmes matériaux et du même ordre que toute autre chose de la nature. Nous admettons cela, nous le reconnaissons, mais ce constat ne nous fera pas renoncer à l'impératif kantien : l'homme existe comme fin en soi, pas comme moyen. C'est sa dignité.
Paradoxe : au moment où il devient indéterminé, nous affirmons avec vigueur notre respect du projet humaniste. Mais jusqu'à quand? Jusqu'à quand supporterons-nous cet écart?
Rien n'est jamais acquis. Ephémère, l'homme ne rencontre nulle part ni son être, ni sa vérité. Le noeud où il tente de se situer n'est ni homogène, ni stable. Il rêve d'universel et vit dans le particulier. Plus il ajoute des prothèses, et plus il lui en faut. Plus il invite à la compassion, plus il délègue dans les choses son humanité même.
L'humanisme a été inventé pour pallier à l'absence d'un propre de l'homme. S'il y avait un fondement crédible à l'humain, on serait moins inquiets. Mais notre appartenance à l'espèce n'est jamais garantie. Nous ne savons ni quand elle commence, ni qui nous la confère, ni dans quelle mesure nous en avons été déchus. Les arts contemporains comme le cinéma tentent de nous rassurer sur ce point en répétant : Il y a encore de l'humain. Merci à eux! Mais au fond de nous-mêmes, nous savons que le post-humain a commencé.
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