Là où domine l'arraisonnement, c'est-à-dire là où l'homme risque de ne plus être qu'un élément du fonds mis en valeur, il y a danger, et même danger suprême, car l'homme ne rencontre plus nulle part son être. Mais comme le dit Hölderlin, là où il y a danger, là aussi croît ce qui sauve. Si l'arraisonnement, qui est l'essence de la technique, est le péril suprême, on peut peut-être, en revenant à cette essence, trouver le salut. Cette essence est le dévoilement, et l'arraisonnement se produit comme destin du dévoilement.

Comment rétablir l'homme dans la dignité de son être? L'essence de la technique est ambiguë. D'une part l'arraisonnement bouche toute vue sur la production du dévoilement. D'autre part, il a pour origine ce qui dure, "ce qui accorde et qui envoie", ce lieu auquel l'homme appartient également de la manière la plus intime.

Autrefois, la technique n'était pas seule à portir le nom de technè. Elle désignait aussi la poiesis des beaux-arts, la production du vrai dans le beau. L'art ne recherchait pas la jouissance esthétique, mais le dévoilement.

L'art est apparenté à l'essence de la technique et est foncièrement différent d'elle; plus nous questionnons l'essence de la technique, plus l'essence de l'art devient mystérieuse.

On serait tenté de suivre Heidegger si l'on ne constatait pas un phénomène à peu près inverse : l'art contemporain semble de plus en plus instrumentalisé, arraisonné par le fonds au sens large (les outils, instruments et techniques, mais aussi les besoins, les désirs, les organisations et institutions qui y sont liés), tout cela semble l'éloigner toujours plus de la poiesis originelle.