1. Menaces.
Jacques Derrida le dit lui-même, la réserve est un concept déroutant. Le mot est rarement cité, peu utilisé, presque oublié, comme ce dépôt caché, dissimulé, virtuel, cette potentialité en sommeil quoique toujours puissante, actuelle. De quoi s'agit-il? De certains éléments plutôt dangereux, instables, menaçants, dont on pourrait craindre qu'ils nous empoisonnent comme les pharmaka grecs. En les gardant, en les tenant en réserve, on diffère ce qui pourrait, intempestivement, faire retour.
2. Protections.
Mettre en réserve, c'est aussi protéger, rassurer, accumuler, capitaliser, mettre en sûreté dans une économie. Il est parfois préférable de suspendre le désir, de privilégier certains sens sur d'autres (par exemple privilégier la vue sur le goût ou le toucher), de tracer des frontières au-delà desquelles les secrets resteront indéchiffrables, séparés (comme des esprits ou des spectres), gardés dans des puits silencieux.
Les machines électroniques remplissent cette fonction. En extériorisant la trace, elles contribuent à la stabiliser, la dominer, la transformer en programmes. Ainsi (non sans quelque risque), leur potentiel s'accroît.
3. Suppléments.
Mais les éléments dangereux sont inarrêtables, ils viennent toujours en plus et produisent la différance contre laquelle ils étaient supposés protéger. Il reste toujours un supplément qui travaille la parole. La réserve est inconnue. Dans le mouvement même où elle constitue le logos et la subjectivité, elle l'efface.
Dans le rire (par exemple celui de Bataille) ou le jeu, des points de non-réserve excèdent la logique, le sens et la vérité.
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