Lire Derrida, L'Œuvre à venir, suivre sur Facebook | Le cinéma en déconstruction, suivre sur Facebook |
TABLE des MATIERES : |
NIVEAUX DE SENS : | ||||||||||||||||
Derrida, la circoncision | Derrida, la circoncision | ||||||||||||||||
Sources (*) : | La pensée derridienne : ce qui s'en restitue | La pensée derridienne : ce qui s'en restitue | |||||||||||||||
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 12 novembre 2005 | Le corpus derridien : ce qui ne répond pas | [Derrida, la circoncision] |
Le corpus derridien : ce qui ne répond pas | Autres renvois : | |||||||||||||
Judaïsme et circoncision |
|||||||||||||||||
Derrida, judaïsme, judéités |
|||||||||||||||||
Orlolivre : comment ne pas étudier ? | Orlolivre : comment ne pas étudier ? | ||||||||||||||||
La circoncision, écrit Derrida, je n'ai jamais parlé que de ça. Ou bien, dit-il dans un film, "chaque fois que je parle de trace, incision, inscription, c'est-à-dire dans tous mes textes, je fais signe du côté de la circoncision, de la mienne". Que veut-il dire? Il donne la liste des nombreux mots qui en sont des équivalents : limite, marge, marque, clôture, anneau, alliance, don, sacrifice, écriture du corps, pharmakos, coupure, etc... Qu'ont-ils en commun, ces mots? Je propose une réponse possible, une hypothèse : ce ne sont pas des éléments d'analyse, mais des opérateurs dans l'oeuvre même. Cela revient à dire que Jacques Derrida ne nous dit pas : "Je suis circoncis" (constatif), mais "Je me circoncis" (performatif). Et c'est ainsi qu'il oeuvre. "... la circoncision reste le fil de ce qui me fait ici écrire, même si ce qui y tient ne tient qu'à un fil et menace de se perdre (...) voilà le réel avec lequel il faut cesser de ruser (il faut?) : ce qui recouvre ce réel n'est pas un mirage mais tout ce qui reste d'un langage, la culture même : d'un mot la circoncision" (Circonfession, bande 38). La transformation qui résulte de cet acte n'est pas bornée par son oeuvre. Impossible à connaître à l'avance (car avant lui aucun philosophie n'avait écrit des ouvrages de philosophie en disant : Je suis circoncis, ou Je me circoncis, ou Voici le circoncis), elle prend la forme de livres, de textes, de discours, de questionnements, de pratiques circoncisantes.
1. Un événement unique. Le point commun entre la circoncision, la naissance et la mort, c'est que ces événements n'ont lieu qu'une fois. Ce non-répétable qui, comme tout ce qui est unique, résiste à la pensée, cette date, c'est cela son thème. S'appuyant sur un passage de Paul Celan, il la compare à la lecture d'un poème. Toutes deux s'inscrivent douloureusement à même le corps, toutes deux laissent une marque signifiante, une blessure. Toutes deux laissent une plaie, font passer une frontière, du côté de l'autre. Toute trace privée, secrète, toute marque intime d'une inscription extérieure, d'une alliance survenue sans prévenir, d'un coup, peut être analysée comme une circoncision. Archivée à même la peau, elle ne vous quitte jamais. D'un côté, on a oublié l'événement, on n'en a aucun souvenir, c'est comme s'il n'avait jamais eu lieu. Mais d'un autre côté, en-dehors de toute remémoration, hors-langage, on s'en rappelle, ou plus exactement, il se rappelle à vous. Il tient au corps, comme un talith. C'est la mienne, je la sens dans mon corps, je suis circoncis. Cette expérience qui nous précède, qui commande notre pensée, peut être comparée au don de la langue : celui qui donne ne sait pas qu'il donne, tandis que celui qui reçoit ne sait pas qu'il reçoit. Sur l'écran de la circoncision, opération sans sujet, chacun peut lire ses souvenirs, ses écrits. Cela vaut pour tout homme, pour toute femme, du simple fait qu'il (elle) parle. Selon la tradition juive, à cette date unique, l'individu reçoit un nom en partage. En entrant dans la communauté, il devient nommable. On peut le désigner, le citer. Mais curieusement, l'un des fantasmes de Derrida (raconté dans Circonfession p182), c'est que cette opération aurait pu échouer. Pendant la circoncision, il aurait pu se produire un événement épouvantable, terrorisant. On l'aurait laissé tomber, chuter dans son propre sang, avant même qu'il ne soit nommé. Un enfant ou infans sans nom, on ne peut même pas le citer. Réussir la circoncision, c'est donc aussi, d'une certaine façon, se protéger de cette catastrophe, du mal radical.
2. Une épreuve des limites. Qu'est-ce que cet événement? On peut dire que c'est rien, un événement de rien, mais c'est un rien qui s'inscrit dans la chair, qui n'arrive pas à se fermer. La cicatrisation de la peau ne s'arrête jamais. On peut rouvrir la plaie, décloisonner ce qui semble clos, faire en sorte que la circoncision se répète, se réinvente indéfiniment, on peut réactiver cet effet de circoncision incernable, qu'on cherche à cerner. Il est double : - soit on l'arrête, on cautérise strictement la plaie, elle cicatrise en produisant un effet de durcissement, d'érection. Il en reste un monument funéraire, un tombeau. En enveloppant le prépuce de linges, en l'enterrant, on l'ensevelit. La religion comme épreuve de l'indemne exalte un corps circoncis devenu complet, intact. Cette théologie, qui voudrait déterminer à l'avance ce que nous serons et qui nous serons, qui cloisonne entre deux mondes, deux subjectivités (avant et après la circoncision) peut priver d'avenir. - soit on ne peut jamais l'arrêter. Il faut alors tourner autour de la plaie ouverte, purulente. Les tentatives de cautérisation ne limitent pas l'épanchement. On a beau sucer (comme le font les circonciseurs traditionnels), le sang coule. La circoncision reste un événement violent, excessif - qui peut cacher un désir de meurtre. Cette castration simulée ne laisse pas en repos. Jacques Derrida trouve, dans les trois points sur les trois i du mot français circoncision, une figuration de ce processus. Comme le prépuce, les points menacent à tout moment de se détacher, sans vraiment se détacher, du trait vertical. Cependant ces circoncisions ne se séparent pas les unes des autres. Elles scellent et descellent à la fois, dans un même arrêt / débordement. Tandis que l'excision est une mutilation de l'organe lui-même, la circoncision ne coupe qu'un bout de peau, un pourtour. Ce qu'on jette, le prépuce, n'est pas une partie de l'organe, c'est un reste, un bord qu'on ne peut jamais se réapproprier.
3. Une mise en oeuvre. Circoncire, c'est apposer sa signature, comme on signe une oeuvre. Quand un artiste se sépare de l'oeuvre, quand il dit J'arrête, ça suffit!, il la circoncit, et il ne reste plus qu'à la signer, la dater, la nommer. Toute l'oeuvre derridienne peut être lue ainsi, comme la mise en oeuvre d'une circoncision. cf : L'oeuvre derridienne, autobiothanatohétérographique, est la mise en oeuvre de ce qu'il nomme "ma" circoncision. Mais que l'oeuvre puisse opérer comme circoncision ne suffit pas. Il faut encore que sa forme se circoncise à chaque instant, qu'elle change de peau. C'est une transe, une jouissance, un plaisir douloureux dit Derrida (Circonfession pp218-221), qui exige d'arracher toutes les peaux, celles du visage, des mains, et d'en greffer d'autres. Il faut alors suivre l'exemple de James Joyce. cf : La signature de Joyce invite les lecteurs et experts à acquiescer à la circoncision de l'oeuvre, à l'alliance du "oui-rire". Ecrire un livre est, pour Derrida, toujours une auto-circoncision, une auto-chirurgie. Quand il écrit, il se circoncise comme Abraham, il est le circoncis et le circonciseur, le sacrifié et le sacrificateur. Il ne lui suffit pas de s'être circoncis lui-même, il affirme en outre : "J'ai dû me porter moi-même lors de ma circoncision" (Circonfession p93). (En réalité, celui qui l'a porté ce jour-là est son oncle paternel Eugène, qui s'appelait aussi Elie). Mais n'oublions que "se porter", pour lui, c'est écrire, et cela s'écrit dans la différance. Tandis que la lame d'écriture coupe son propre corps, il imagine son père le regarder et sa mère restée à la porte dans l'angoisse, comme cela a dû arriver (Circonfession p124). Ce ne sera pas elle qui sucera la plaie, mais lui-même, dans une opération d'autofellocirconcision (ou d'oeuvrance). Que dire d'une oeuvre qui ne peut être que le produit de cet acte? A tout moment de la vie, et pas seulement dans l'écriture, on rencontre du circoncis et de l'incirconcis, on est jugé par lui. cf Circoncision est le désir de vivre sans avoir besoin d'écrire : aimer la vie.
4. Le circoncis. Selon Hélène Cixous, tous les textes de Jacques Derrida sont "de corps". ll les signe à partir de la scène de la circoncision. Il dit : Voici le circoncis. S'il donne le nom de "Livre d'Elie" aux carnets dans lesquels il a accumulé des matériaux pour le Grand Livre de la circoncision qu'il projetait d'écrire, c'est parce qu'elle s'inscrit dans son nom, comme elle est inscrite dans celui d'Abraham. Il savait dès le départ que ce projet était voué à l'échec car il aurait impliqué une impossible exhibition du secret, de l'inconscient. Et pourtant il a continué. Ne renonçant jamais complètement à l'intercession des rabbins (d'un côté leur sagesse, de l'autre la faculté qu'ils ont de circoncire la parole), il n'arrête pas de la réinventer. Sans cesse il faut recirconcire ce qui se décirconcit, déjouer la réappropriation des langages, circoncire le mot (chaque mot est un schibboleth), transmuter et réécrire la parole. La circoncision est une métonymie (la partie qui se détache du tout pour en tenir lieu), mais ce n'est pas une métonymie comme les autres, c'est la métonymie des métonymies : un événement singulier, irremplaçable, irréversible, qui vaut pour toutes les autres pertes et les remplace d'avance. Ce qui arrive une fois pour toutes engage à revenir, à représenter, à reproduire, à écrire. Elle seule peut tenir lieu des autres circoncisions (lèvres, langue, oreille ou coeur), du corps comme du texte.
5. Une alliance à venir. Partons d'un autre "fantasme" de Jacques Derrida, qu'il raconte dans Circonfession, et dont on peut donner le résumé suivant : "Ma mère, en signe d'alliance, me circoncit de ses lèvres, et j'éjacule dans sa bouche quand elle avale le prépuce". Cet autre fantasme est aussi celui d'une autre alliance écrite dans une autre langue qui n'est plus celle de la famille, une langue que seul un philosophe qui aura osé décrire son pénis [il n'y en a qu'un : Derrida] pourra inventer. Le paradoxe, c'est qu'il n'aura pu le décrire, ce pénis, qu'à travers une alliance millénaire, à la fois héritée et rompue. L'alliance de la circoncision vient avant la première (celle de la langue). Bien qu'elle soit plus originelle, il faut pour elle inventer un autre idiome intraduisible, inconnu. La circoncision inaugure cette alliance paradoxale, hétéronomique, dissymétrique, qui unit la nudité du corps à l'extériorité et à la mort. On n'a jamais peint le pénis circoncis du Christ dit-il [ce qui n'est pas tout à fait certain]. Mais cela pourrait être la tâche qu'il s'assigne. Il l'appelerait Troisième circoncision ou troisième alliance (Circonfession p111) : une peinture inouïe, une oeuvre nue comme un gland, dépourvue de tout anneau protecteur. Nous serions tous des Catherine de Sienne, anorexiques, indifférents à la nourriture mais abreuvés du sang d'une blessure toujours ouverte, d'une différance. L'infans nouveau-né s'inscrit dans cette alliance qu'il est supposé avoir contresignée avant même de l'avoir signée. On ne lui donne pas le choix, il ne peut qu'acquiescer, et il devra, sa vie durant, déchiffrer ce contrat auquel il n'a pas souscrit. L'oeuvre derridienne pourrait être lue comme l'annonce de cette alliance, auprès d'un destinataire virtuel, d'un ami, invité à dire à son tour : "Je me circoncis". ------- Le scripteur a conçu le Derridex comme une certaine forme de circoncision - du lecteur.
|
-------------- Propositions -------------- -Circoncision, je n'ai jamais parlé que de ça : limites, marges, marques, clôture, anneau, alliance, don, sacrifice, écriture du corps, pharmakos, coupure, ... -Ecrire un livre est une auto-circoncision, une auto-chirurgie -L'oeuvre de Jacques Derrida, entreprise autobiographique la plus périlleuse, courageuse et folle de ce temps, peut se lire : "Voici le circoncis" -Une inscription privée, secrète, marque intime d'une inscription extérieure, peut être analysée comme une circoncision - qui survient à même le corps propre -La circoncision est une alliance dissymétrique, sans contrat, à laquelle le nouveau-né souscrit avant même qu'il ne parle -La circoncision est une alliance hétéronomique -La circoncision est un épanchement sanguin strictement cautérisé, coagulé, cicatrisé -Et s'il y avait dans la circoncision un désir inhibé de meurtre d'enfant? -La circoncision, cette coupure du pourtour, est instituée par et pour la mère -Abraham est si attaché à la séparation qu'il impose la circoncision, ce signe ou ce simulacre de castration, à lui-même et à ses descendants -Le talith tient au corps comme mémoire de la circoncision -La blessure signe l'oeuvre, elle scelle et descelle à la fois, comme le fait la circoncision -Je me recueille dans la plaie de la circoncision qui éponge sans fin le sang qu'elle exprime -La circoncision n'a lieu qu'une fois -Ce qui se rappelle à moi sans avoir eu lieu, je l'appelle circoncision -La circoncision, qui se joue "une fois pour toutes" en détachant la partie du tout, n'est pas une métonymie parmi d'autres : c'est une métonymie des métonymies -Dans l'"autofellocirconcision" derridienne, le propre se reconnaît comme frappé d'exappropriation -"J'ai dû me porter moi-même lors de ma circoncision" : pour qui sait lire, cela s'écrit dans la différance -Le simple fait de parler nous installe d'entrée de jeu dans l'alliance de la circoncision -L'expérience de ce qui nous fait naître à la langue est indissociable du don, de la circoncision ou de l'être-juif -Les Ephraïmites, qui ne peuvent pas prononcer schibboleth, sont incirconcis de la voix - comme on peut l'être des lèvres, de la langue, des oreilles ou du coeur -Le mot circoncis "Schibboleth" est promis à l'autre, dans son absolue dissymétrie, pour qu'il passe la porte -Ne garder d'une pensée que sa loi de production, c'est la réduire à une grammaire, un théologiciel qui, en cautérisant les plaies et cicatrisant les circoncisions, prive d'avenir -L'oeuvre derridienne, autobiothanatohétérographique, est la mise en oeuvre de ce qu'il nomme "ma" circoncision -Nos tâches : refonder les religions en s'en jouant, réinventer la circoncision, recirconcire ce qui se décirconcit, déjouer la réappropriation des langages par un Dieu-Un -Il faudrait une nouvelle langue, de nouvelles phrases pour une nouvelle circoncision : détacher l'anneau de chair et le passer au doigt de la dame -Tout homme, circoncis par la langue, est comme un Juif, comme un poète -La circoncision est double, entre celle qui élève, enveloppe et pétrifie et celle qui fait passer la fine lame d'un couteau d'écriture -La circoncision enfonce l'inscription du rien dans la chair, dans la parole vive -Opération sans sujet, la circoncision produit un écran/écrin sur lequel se lisent les souvenirs et les écrits -Un texte circoncis se passe du corps et de sa part incirconcise - il évite les citations qui seraient des incorporations -Décloisonner, c'est rouvrir la plaie de ma circoncision, cette scission sublime -Jacques Derrida réactive indéfiniment l'effet de circoncision : il mêle sa voix à celles des quatre rabbins du Pardès -Le pire, pour Derrida, le plus épouvantable, aurait été qu'on le laisse tomber, sans nom, pendant "sa" circoncision, qu'il soit laissé forclos, sanglant, impossible à citer -Circoncision est le désir de vivre sans avoir besoin d'écrire : aimer la vie -Une circoncision est une épreuve de l'indemne -Il faut à l'oeuvre une forme circoncise : changer de peau, l'arracher, la greffer, la contourner, tenir le désir en arrêt entre deux mouvements au-delà du cercle -La circoncision est une blessure à déchiffrer, comme le poème -La signature de Joyce invite les lecteurs et experts à acquiescer à la circoncision de l'oeuvre, à l'alliance du "oui-rire" -Mes fils incirconcis sont les seuls dont je redoute le jugement -Ce qui se passe dans la circoncision se fait hors langage -On n'a jamais peint le pénis circoncis du Christ -La circoncision coupe sans mutiler, tandis que l'excision mutile -Du jour de sa naissance, l'enfant n'appartient plus à sa famille; coupure ou cicatrice, c'est l'eschatologie de la circoncision -Le Derridex est une césure ouverte dans la lecture des textes de Jacques Derrida - une circoncision du lecteur -Mon sexe, je ne peux le décrire qu'à travers des millénaires de judaïsme, alliance rompue sur tous les plans -L'enjeu des textes talmudiques ou midrachiques, aujourd'hui, c'est leur traduction en questions métapolitiques, transpolitiques et transéthiques -Un rabbin est un sage investi du droit de circoncire la parole -Au moment de sa circoncision, Abraham ressentit, d'un coup de lettre, la lettre h au milieu de son nom -La circoncision, castration simulée, coupe sans retrancher; du point sur le (i), elle fait un élément prononçable -Un Livre d'Élie (non biblique), signé Jacques Derrida, est resté sous forme de carnets -Fantasme de Jacques Derrida : "Ma mère, en signe d'alliance, me circoncit de ses lèvres, et j'éjacule dans sa bouche quand elle avale le prépuce" |
||||||||||||||||
|
|
||||||||||||||||
|
|||||||||||||||||
Création
: Guilgal |
|
Idixa
|
|
||||||||||||
Derrida DerridaCirconcision AA.BBB DerridaCheminementsXL.CI.RCO ArchiOeuvreCorpusXN.KKL JudeitesAVenirIC.LKD AD_DerridaCirconcision Rang = zQuois_CirconcisionGenre = - |
|||||||||||||||