La place de l'esthétique n'est nullement marginale dans le système kantien. Elle est au coeur de la Critique du Jugement (troisième Critique) au sens large, en tant que faculté de juger en général, et aussi au sens plus étroit de jugement sur le beau. Qu'est-ce que le beau? Tout simplement ce qui plaît, c'est le point de départ de Kant. Mais dans ce qui plaît, l'accent n'est pas mis sur le plaisir, mais sur le jugement. Je produis en moi une idée par rapport à laquelle je définis mon goût. Cette idée est esthétique et symbolique. Elle ne dépend pas de l'objet concret, mais de mon jugement autonome (c'est-à-dire du discours). Elle ne cherche ni la jouissance ni l'intérêt - ni même le bien. La beauté n'a pas d'autre finalité que sa propre forme : l'idée se compare à la représentation.
Il se trouve que les jugements particuliers que nous portons sur la beauté sont communicables à d'autres personnes. Ils relèvent du sens commun. Bien qu'ils ne soient soumis à aucune règle ni principe objectifs, bien qu'ils soient dépourvus de concept, bien qu'ils soient immédiats, ils sont intersubjectifs et universels, et en outre ils donnent à penser. La satisfaction qu'ils procurent est nécessaire.
S'il y a art, il y a libre arbitre, une liberté de faire qui ne peut se comparer qu'à l'acte divin. Il y faut du génie.
On relève un paradoxe, une antinomie insurmontable. L'homme est capable de beauté pure (indépendante de tout objet) et aussi de beauté idéale (celle qui est conditionnée par un objet auquel elle adhère). La première ouvre un espace de jeu, la seconde s'organise en plaisir culturel qui bride le génie. La première renvoie à la belle forme, la seconde aux ornements. Les deux sont irréconciliables, mais coexistent. C'est l'un des aspects de la révolution copernicienne de Kant.
Le sublime aussi repose sur un jugement. Comme le beau, il plaît par lui-même, mais l'un tient à la forme et l'autre à l'informe. Impuissant à saisir l'infini dont il a l'intuition, le sublime dépasse tout critère des sens. Il exalte l'humanité et le sentiment moral.
L'esthétique kantienne n'est pas qu'une philosophie. Elle s'est réalisée dans le monde, par exemple par l'impressionnisme.
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