- Péronne : Le paradoxe de l'art dans le monde d'aujourd'hui, c'est que plus on construit de musées, plus le marché s'élargit, plus les prix augmentent, plus on l'enseigne dans les universités et les écoles spécialisés, plus les grandes métropoles investissent et se disputent les collections, plus il y a d'amateurs, de donateurs, d'acheteurs, de spectateurs et de consommateurs, et plus il s'efface. L'art traditionnel devient patrimonial et sacré, tandis que l'art dit contemporain se noie dans le conceptuel, le politique, le médiatique, l'événementiel, le relationnel, l'institutionnel, le vécu, l'humanitaire, le moral ou le marchand. Le mot "art" n'a plus aucun contenu; il n'est qu'un prétexte, le réceptacle d'une nostalgie, d'un vague souvenir de ce qui fut un mythe. Au mieux, ce joli mot laisse un reste sublime, adorable, confondant mais rare; au pire, il sombre dans la dé-définition ou le minimalisme.
- Lorenzo : Pourtant toi-même, tu continues à parler d'art, même si tu ne le penses qu'à partir de sa mort.
- Péronne : Certaines oeuvres ne sont supportables que si elles coupent définitivement le cordon ombilical qui les relie à l'art.
- Elena : On avait pris l'habitude depuis la Renaissance d'arraisonner l'art, de l'enfermer dans des définitions. Il a résisté et résiste encore. Innommable, inquestionnable, il est encore plus à sa place.
- Péronne : Tout se passe comme si l'art jouissait de son propre prestige jusqu'à en perdre le souffle, comme si son extase était un étouffement. Dans ce climat étrange, seule l'oeuvre résiste. Par elle passe l'héritage.
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