"La Terre" est le mot que Heidegger utilise pour traduire le grec "physis" (qu'on traduit habituellement par nature). La terre est ce en quoi l'homme fonde son séjour, le sein dans lequel il s'épanouit, il est hébergé. De même qu'il faut à l'homme un sol, il faut à l'oeuvre un matériau : pierre, bois, métal, parole, son. Quand on crée une oeuvre, on ne fait pas disparaître le matériau dans lequel elle est faite. Au contraire, on le fait ressortir. C'est une des dimensions de l'oeuvre : libérer la terre pour qu'elle soit une terre, la faire apparaître dans le clair de son être, la faire sortir de sa réserve. En effet la terre est par essence ce qui se renferme en soi. L'oeuvre la fait venir dans l'ouvert en mettant en place un monde. Entre la terre et le monde, il y a combat, mais ils s'appartiennent l'un l'autre dans l''unité de l'être-oeuvre de l'oeuvre. Ils sont à jamais séparés, mais reposent l'un sur l'autre.

Comme Kant, Heidegger établit un rapport entre l'oeuvre d'art et la nature (la citation de Dürer choisie pour illustrer son propos : "Car, en vérité, l'art y est, dans la nature, et celui qui d'un trait peut l'en faire sortir, il le tient" (p79) désigne expressément la nature). Ce n'est pas un rapport de finalité, mais un mouvement par lequel l'oeuvre, dans le temps même de sa création, laisse apparaître librement ce qui est, par essence, fermé sur soi (la terre, c'est-à-dire les éléments naturels en tant qu'ils ne font pas partie d'un monde).