Monet s'est fixé un objectif quasiment scientifique dans les années 1890 : reproduire les effets de la lumière sur un même sujet à différents moments de la journée et du climat. Mais la finalité qu'il croyait poursuivre fut un moyen de trouver un nouveau principe de consistance de la peinture, qui résidait dans la faculté d'abstraction de l'art. Il voulait consigner ses sensations de la façon la plus littérale possible; au lieu de cela, le fait visuel tourna à l'hallucination ou à la fantasmagorie. Recherchant l'exactitude, il expérimenta les lois autonomes du matériau sur la toile. La nature servit de tremplin à un art presque abstrait. Les effets sur l'art ne furent pas très différent de ceux auquel aboutirent les cubistes : là où les cubistes débouchèrent sur le squelette du tableau traditionnel, Monet en vint à produire l'ombre du tableau (p53). Le développement d'une proposition picturale puissante (une faible illusion de profondeur privilégiant les premiers plans) conduisait à un vaste espace purement physique (les derniers Nymphéas). Ainsi la graine initiale du modernisme a-t-elle été plantée par les impressionnistes.