- Jean-Yves : La présence d'un cadre autour d'un objet nous semble naturelle. Mais de même que le fond, la forme, les marges, le contour ou la symétrie, c'est un artefact, une convention qui peut changer, évoluer ou disparaître. Il est associé à d'autres éléments comme le titre, la légende, le cartouche, etc... qui commandent la place de l'oeuvre dans les musées et ailleurs. Fait-il ou non partie de l'oeuvre? C'est un vaste sujet de discussion. Certains disent qu'il contribue à fabriquer de l'illusion (illusion de la représentation, mais aussi du simple fait que cette oeuvre est une oeuvre), d'autres qu'il appartient à l'espace du spectateur.
- Roberta : Au mot cadre, je préfère celui de parergon, qui peut désigner tout ce qui se situe au bord d'une oeuvre.
- Jean-Yves : Depuis des siècles, les peintres cherchent à dépasser la limitation matérielle de la toile. En réponse aux commandes qui leurs étaient adressées, ils ont fourni des fresques religieuses, des tableaux d'autel, d'histoire ou de chevalet. Mais quel que soit le thème abordé, ils avaient le souci de faire rentrer l'extérieur dans l'intérieur. Sans même le vouloir, ils ont toujours exploité la fragilité des parerga. Les bords des oeuvres ont été particulièrement affectés par la crise du logos. Exemple : Louis Soutter, qui était considéré comme un fou dans les années 30, apparaît aujourd'hui comme un innovateur de génie. Autres exemples : les expressionnistes abstraits. En agrandissant les tableaux, ils ont repoussé la limite du cadre plus loin que leurs prédecesseurs (sans d'ailleurs aller jusqu'à l'écran de cinéma, qui est carrément centrifuge), tout en ouvrant la voie à l'indétermination, l'effacement, la défaillance, l'effondrement ou la dislocation du parergon. Après tout l'art ne doit-il pas, par essence, ouvrir sur l'inconnu?
- Roberta : Chaque fois qu'on abandonne certaines limites, on en invente d'autres : le hors-champ, les murs de la galerie, le marché, ou encore l'instauration de nouvelles règles écrites ou orales, explicites ou implicites.
- Pascual : D'une part le cadre est indispensable parce que, sans lui, tout s'effondrerait; mais d'autre part, il pervertit les rapports de la partie au tout.
- Jean-Yves : Le cadre est une censure, et comme toute censure il finit toujours par échouer. Soit il est absorbé dans l'oeuvre ou le texte, soit il évoque les tensions qu'il est supposé étouffer.
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