Selon Benjamin, pour qu'un objet possède une aura, il faut qu'il soit authentique, unique. Un tel objet est une sorte de monade, dont l'unicité ne peut être à chaque fois décrite que de façon concrète. Par exemple il a subi le travail de l'histoire : les altérations, la liste de ses possesseurs, de ses usages. Ou bien il a pour particularité de produire un choc, de suspendre les clichés linguistiques. Mais ces critères restent vagues, imprécis. Que dire d'une oeuvre qui ne possède pas d'original (un film par exemple)?
Dans la société moderne, l'aura est ébranlée. La valeur cultuelle de l'oeuvre, qui traditionnellement soutenait l'aura, est remplacée par la valeur d'exposition. Quand la plupart des oeuvres sont reproductibles et approchent en qualité de l'original, voire le dépassent, le "hic et nunc" de l'oeuvre d'art est déprécié. L'évolution est encore plus radicale au cinéma. En jouant devant un appareil (et non pas devant le public), l'acteur accepte a priori de renoncer à son aura, et avec cette renonciation, s'efface aussi l'aura des personnages représentés. On n'est plus en présence d'une oeuvre unique, mais d'une fiction reproductible. Ce bouleversement se propage à toute la société.
[A une époque où l'on ne remarque même plus l'apparition et la disparition des étoiles dans le ciel des grandes villes, on peut craindre la perte définitive de l'aura].
Sauf que... les choses sont plus complexes. Dans la formulation de Benjamin : L'aura est l'unique apparition d'un lointain, si proche soit-il, le lointain est indéterminé. Ce que l'aura restitue peut être, par exemple, l'expérience d'un immémorial, d'un langage perdu, d'un nom secret ou d'un sacré qui fait l'objet d'un culte. Cette expérience n'est pas nécessairement incompatible avec une réception collective. Dans les années 1840-50, certaines photographies conservaient leur aura, même si d'autres l'avaient complètement perdue (par exemple celles d'Atget).
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