A peine remise de la concurrence acharnée que lui oppose la photographie depuis un siècle et demi, la peinture doit faire face à une foule d'autres genres qui, de tous côtés, la remettent en question : cinéma, arts vivants (de la danse aux performances), installations, vidéo, arts du web ou issus d'autres technologies (par exemple la radiographie). Pourtant elle reste vivante et bien vivante. S'il y a toujours de nouveaux peintres, y compris parmi les jeunes générations, c'est parce que la question que pose la peinture n'est pas encore obsolète. Comment s'inscrire dans le discours tout en étant composée d'éléments ininscriptibles, oubliés, latents ou indescriptibles comme le trait ou la couleur? Du simple fait de son existence, la peinture porte cette interrogation. Art discursif, langagier, et aussi art muet, radicalement hétérogène au discours, elle nous plonge dans un abyme. Son énigme est celle de la visibilité. C'est cette duplicité qui fait son charme et la rend éternelle, malgré les concurrents féroces qui réclament sa place dans les musées et les galeries.
Partons de deux formulations basiques et opposées. a) la peinture n'est qu'une surface plane recouverte de couleurs; b) elle représente. Que ces deux aspects soient ou non exclusifs l'un de l'autre, cela ne suffit pas. Pour qu'il y ait vraiment peinture, il faut encore autre chose, un jeu particulier, une magie, une charge pulsionnelle, une séduction, un travail, une dimension philosophique ou métaphysique, inconsciente ou sauvage. Il faut qu'elle donne à penser, qu'elle change le monde. Le sujet qui tente de s'y repérer n'est pas celui de la vie courante, mais celui dont le regard, chargé de désir, est à la recherche et à l'écoute du fait pictural.
Regarder un tableau, c'est assumer un héritage refoulé. Son harmonie n'est qu'apparente, à la merci des montages, des empreintes et des couleurs qui s'y inscrivent.
Un tableau nous intéresse parce qu'il témoigne de l'art de celui qui l'a peint, et aussi d'une vérité, d'une urgence qui touche aux fondements. Il répond à un manque.
Qu'est-ce que le tableau donne à voir? La matérialité des couleurs? L'objet? Le monde? L'idée? La voix? Ou le regard, la vue elle-même?
Pour certains, la peinture est intemporelle; pour d'autres, elle est un rapport à la durée, une crise ou un cristal de temps.
Une peinture est unique, contrairement à une reproduction, et cette unicité reste un horizon de l'art, malgré les défis dont elle est l'objet.
La peinture fascine parce qu'elle est le lieu d'un silence.
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