On a fini par s'habituer au cubisme. Dans les musées, on passe sur ces vieux tableaux comme devant des icônes dépassées. Un jour, le cubisme a été stupéfiant, et cette stupéfaction n'est pas encore complètement effacée. On arrive à s'en faire une petite idée en lisant les écrits des contemporains, par exemple Carl Einstein. Comment concilier les impératifs de la vision avec ceux de la tradition? Comment rendre compte des métamorphoses de l'objet, alors que la société machinique engendrait un nouveau réel? Le couple étrange Picasso/Braque a eu l'audace de risquer cette mise au monde. L'un et l'autre ont mis longtemps à s'en remettre (et l'art aussi). Les explications stylistiques ne suffisent pas pour rendre compte de l'événement. Il y a autre chose qu'une nouvelle peinture : une transformation de la vision, un autre rapport au monde, une violence qui détruit en priorité la forme humaine, qui se retire de tout simulacre et de tout discours, une force qui disjoint les formes, les objets et l'espace lui-même, un acte de voir qui crée du réel. Cela, peut-être, n'a duré qu'un temps (car les tableaux cubistes ne nous émeuvent presque plus).
Cet autre espace est instable. Il peut se modifier à tout moment. L'inquiétude face à cette dissémination appelle une structuration. Des appareillages régulent son mouvement, des règles sont à respecter (en partie héritées de la perspective illusionniste), certaines positives, d'autres négatives comme le refus de la planéité, au nom duquel le collage a été inventé.
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