Le mouvement Dada, né en 1916 du coeur sanglant de la Grande Guerre, mort en 1923 à l'orée d'une période encore pire, est un moment de basculement et d'effondrement plus radical encore que son prédecesseur l'art abstrait et son successeur l'anti-art. Il a voulu tirer parti de tout ce qui l'avait précédé, y compris le readymade, apparu en 1915 - en faisant fi de toute spiritualité. Il a voulu entraîner dans la destruction toute croyance, que ce soit dans la société, dans le langage, dans la beauté et même dans l'art. Pour rendre un tel événement possible, il fallait s'en prendre directement à la parole en faisant la promotion de la voix.
Son cynisme apparent cache une tentative de rédemption. Le mouvement portait l'espoir insensé d'une nouvelle naissance qui ouvrirait la voie à une autre langue, partagée par tous, mais radicalement singulière. Son moralisme exige l'abandon de la méditation et du recueillement attachés traditionnellement à l'oeuvre d'art pour le remplacer par une affirmation de la forme brute, écrite ou orale (Artaud), visuelle ou sonore. Quoiqu'on en pense, il n'est pas mort, il progresse comme un termite ou un tunnelier sous les édifices que nous bâtissons.
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