1. Le nom, nommable ou innommable?
Nous n'écrivons pas le tétragramme (et le prononçons encore moins), nous ne pouvons que le nommer avec ses lettres hébraïques (יהוה), nous ne faisons que l'évoquer en le transcrivant en lettres latines (Yhvh).
Dans la tradition hébraïque, il n'y a pas de mot pour Dieu. Le mot désignant la divinité est "Chem" (ou Shem, qui traduit, en hébreu, le mot "nom"). Alors, qu'est-ce que le tétragramme? Ne nous précipitons pas pour lui trouver une place dans l'être. Ce nom qui n'a pas de signification, qui ne renvoie à rien de substantiel, nomme le langage même, en-deça de son origine. Il n'est rien, ni l'être, ni le sens, ou s'il est quelque chose, c'est soit le nom de l'être, soit quelque chose qui n'a pas de nom (EnSof), qu'on ne peut pas lire avec ces quatre lettres. Imprononçable, il se retire hors de la voix, il en est l'envers. Il en appelle à l'absence.
2. Les autres noms.
Dans le récit biblique, quand Moïse interroge le buisson ardent, la divinité répond par une formulation intraduisible, qu'on peut résumer par l'acronyme Ehyeh (אהיה), ou qu'on peut traduire en français par différentes phrases comme Je suis ce que je suis, ou Je serai ce que je serai, etc. Certains disent qu'il y a autant de théologies possibles que de traductions possibles de cette phrase. Il y a aussi autant de noms de Dieu que de théologies concevables.
Il y a deux façons opposées de présenter le tissage de la Torah avec le nom de Dieu. Soit le tétragramme ne serait qu'un nom parmi d'autres, un pseudo-nom de Dieu pour les ignorants, un expédient, un simulacre. Le vrai nom, s'il existe, ne serait jamais mentionné. Soit le tétragramme serait effectivement le vrai nom dont tous les autres noms sont dérivés. Son ambiguité ne serait pas pour autant diminuée. Il serait Shem Hameforash : en même temps révélé et occulté, prononcé et secret, le fondement commun à toutes les mystiques.
3. Un "Qui".
Parlant à la première personne ("je"), il nous invite, nous aussi, à dire je. Il ne prescrit rien d'autre que la liberté. N'est-il pas dans chaque nom? Et en particulier ce qu'on n'entend pas dans chaque nom?
On dit qu'il a parlé à Moïse et à quelques autres, mais à nous, il ne nous parle pas. S'il nous parlait, sa présence serait totale; mais il reste muet, sans jamais apparaître. S'il se révèle, c'est uniquement comme trace d'un retrait absolu dont la trace de son nom n'est pas un reste, mais un mouvement, une restance. A ce qui est nommé [יהוה], il appartient de pouvoir se rétracter"; tel est l'axiome absolu de l'Ancien Testament.
4. Une exigence.
On dit parfois qu'il clame son nom, mais ce qu'on entend, c'est autre chose, par exemple Adonaï, son nom commun, ou Babel, ce babillage confus. Chaque fois, il divise le nom indicible. C'est un nom qui déconstruit son nom, comme il déconstruit la tour.
Ce nom est-il universel? Il le serait, peut-être, autant que la justice.
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