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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

 
   
L'espace vocal                     L'espace vocal
Sources (*) :              
Nimos Kefa - "Déambulations dans l'espace vocal", Ed : Galgal, 2007, Page créée le 22 janvier 2000

L'espace vocal est vérifiable dans de multiples pratiques actuelles

   
   
   
                 
                       

 

QUELQUES NOTES PRISES AU HASARD

Il n'y a pas eu beaucoup de révolutions dans la courte histoire de l'humanité. La première a été l’écriture; associée à l'agriculture, elle se trouve à l'origine de nos civilisations. La seconde a été la science. Elle s'est produite au 17ème siècle et, associée au libéralisme, a conduit à la forme actuelle de nos sociétés. La troisième est la vocalisation de l'espace. Elle remet en question la place de l'écriture et de la science dans le lien social par des pratiques nouvelles qui inféodent l'espace et le temps à la compétence vocale de l'homme. En effet la radio, la télévision, l'informatique, Internet et même l'ensemble du système actuel des communications peuvent être considérés par leur vitesse et leur mode de fonctionnement comme une hypostase de la voix humaine.

Nouvelles techniques, nouveau rapport à la science. Les dadaïstes et futuristes, qui les ont anticipées, ont parlé de la libération de la voix emprisonnée par l’écrit. Ils n'avaient pas tort, même si l'écrit, nullement menacé, trouve dans ce processus une nouvelle dissémination (c'est ce qu'on appelle l'hypertexte).

Les sciences dominantes y sont la biologie et aussi (bien qu'elle soit moins visible), la linguistique.

A la place du livre vient la fonction vocale/auditive. MacLuhan s’est trompé. Le livre est remplacé par un espace auditif, et non pas visuel. Ce ne sont pas les images qui viennent à la place de l’écrit, c’est l'oreille. Le lecteur (regardant) est remplacé par la personne (écoutante) (de la télévision, de la musique, un texte, même si ce texte conserve la forme écrite).

La révolution industrielle de l’information bouleverse les modes de production et affecte le travail par le biais du temps.

La numérisation universelle fonctionne comme un code linguistique. Ce qui est important n’est pas le code lui-même, mais la façon dont il se transmet, c’est-à-dire ce qui occupe la place de la voix.

Initialement, l’informatique est liée au langage. C’est un langage. L’informatique traite indifféremment l’image, le son et le texte : transversalité algorithmique, qui recouvre aussi verticalement les processus de production et de diffusion.

Nouveaux dispositifs de pouvoir. Etant dépourvu de voix et de lieu qui lui soit propre, le pouvoir Ctp occupe toutes les voix et tous les lieux. Bien que ce pouvoir ne soit pas sans image, il est particulièrement difficile de s'en débarrasser!

La loi se conforme à la voix : elle se retire, elle est défaillante. C’est ce que montre l’espace vocal : qu’on ne peut se fier à rien, mais que néammoins, il n’y a qu’à ça (ce rien comme point d’émission, phénomène psychotique ou appel à la radio) qu’on puisse se fier.

Le législateur est la voix de la machinerie, c’est-à-dire celle de personne. Cette voix s'est fait entendre dans bien des films et romans de science-fiction. Elle est entifiée, imaginarisée dans le discours, ce qui montre qu'elle existe.

Nouvelle intersubjectivité. Freud a inventé la psychanalyse car il cherchait la causalité dans l’espace vocal. L'espace vocal donne naissance au freudisme, et en même temps le considère acquis, il s'y meut.

Renouvellement de l’écoute. A présent, le dogme a pris la forme d’une écoute conciliante. Avec la psychanalyse, viennent des pensées neuves de l’oralité et du corps. C’est une captation qui se déploie dans tous les réseaux.

Des bruits nombreux et puissants, difficiles à distinguer les uns des autres, envahissent de toute part la vie de l’homme. La prévalence du lo-fi brouille toute perspective sonore urbaine (on ne distingue plus le hi-fi). On se noie dans les sons graves, qui contournent les obstacles et emplissent l’espace. Les basses fréquences portent plus loin et se diffractent moins. La localisation de la source est plus difficile.

Dichotomie entre le 19ème et le 20ème siècle. Haute fréquence : son distancé, perspective, dynamique, orchestre, concentration, air. Basse fréquence : son enveloppant, présence, mur sonore, électroacoustique, immersion, océan matriciel, espace intime, Nada, Yoga. La tête de l'auditeur est la sphère acoustique. Les sons graves se multipliant dans l’environnement, le public tend à les préférer. Exemple la musique pop, qui cherche le flou et le diffus.

Apparition de la ligne droite (continue) en acoustique. Le corps du son se prolonge, inchangé. Les machines donnent des sons à faible information, superflus pour la plupart. Continuité. cf les routes, voies ferrées et surfaces planes. Bruits de fond permanents à large bande, sans personnalité ni dynamique. Pas de sensation de durée. Le bourdon anesthésie l'intellect. Il aide à la concentration dans la méditation. La perte des hautes fréquences renforce la communauté.

Les bruits sont vécus comme menace pour le discours. Appauvrissement du paysage sonore. Il y a de moins en moins de sons différents distinguables, y compris à la campagne. Ce n’est pas seulement les sons eux-mêmes qui disparaissent, c’est aussi (en outre) que la capacité humaine à les distinguer s’affaiblit (car cette capacité est culturelle : distinguer un son, ça s’apprend). Les architectes cherchent à couvrir les sons par des masques plutôt qu’à les révéler ou les distinguer les uns les autres.

Immersion. Enveloppement. Bain vocal permanent. Fermeture. L’écoute a lieu dans un espace clos où la distance et la direction sont absentes. La chaîne stéréo nous met au centre d’un son qui inonde. Recherche d’unification et de plénitude (expérience régressive).

Multiplication des sons schizophrènes. Lié à la révolution électronique. Libération par rapport à l’espace et au temps. Emancipation de la production, de la transmission et de la retransmission des sons. Puissance et multiplication des artefacts.

Le paysage sonore se remplit de fabrications humaines. Vers 1910, les bruits industriels l’emportent sur ceux de la nature. L’expression la plus totale en est la guerre mécanisée. L’Art des Bruits, du futuriste Luigi Russolo, paraît en 1913 (élimination des distinctions entre bruits et musique).

Le microphone place la voix dans une perspective sonore. C’est un trompe-l’oeil acoustique. Il érige la voix en matériau maniable. Il permet la réalisation de gros plans acoustiques. Il acquiert un statut dramatique dans l’oeuvre. Il amplifie le murmure. Il accomplit l'intériorité en relayant l'expression subjective par l'objectivité des moyens de transmission.

L’amplificateur est une arme de domination de l’espace acoustique. Utilisé pour la première fois par Wilson à la SDN le 20/9/1919. La musique populaire pousse la production sonore jusqu'au seuil de la douleur (120 db pour le rock alors que la limite règlementaire dans l'industrie est de 85-90 db).

L’espace vocal est permutable. Effets d’échos, dissociation des sources, création d’instruments. Avec la technique, tout environnement sonore peut devenir n’importe quel autre environnement sonore. Surabondance visuelle

C’est une secrétion quasi-constitutive du système capitaliste. Pour les images comme pour les biens (ou l'argent), il y a inflation, dilapidation et dérèglement. Les profits augmenteraient avec le nombre d'images. Extension au monde entier du régime de la marchandise. Profusion frivole et incohérente des images et des angles de vue. Rapports complexes de cette tendance avec la photographie (surtout à partir de 1925, Nouvelle Objectivité). Conséquence : l'excitation excessive de la rétine émousse le regard.

Régulation. L’humain étant ce qu’il est, les tentatives se multiplient pour rendre habitable l’espace vocal. Auto-régulation du public. On parle de moins en moins fort, mais on s’entoure de plus en plus de sons. On tente de codifier le paysage par des lois et des pratiques : respect de l’environnement sonore, symbolisme des sons, contrôle des rythmes et des tempos, mécanismes de correction.

Dans cet espace, on y habite - et on y erre. Les deux. ce qui n’est pas sans entretenir une certaine forme de jouissance. C'est peut-être comme ça (et seulement comme ça) qu'on peut vivre (ce qui s'appelle "vivre") dans ce monde.

Tenants-lieu de voix. Déchets de voix. Les voix ne sont pas vécues comme telles, comme voix humaines, mais comme bruits, comme éléments d’ambiance. Phrases toutes faites qui ne vont pas jusqu’à l’intersubjectivité et dégénèrent facilement en agressivité. Substituts visuels.

Voir, c’est remplacer ce qu’on n’entend plus. Comme il n’y a plus de points de repère auditifs solides, mais une multiplications d’auditions confuses et masquées, on cherche des substituts visuels pouvant avoir une fonction symbolique (des points de repère imaginaires).

Expressions du sans-Voix. L’obscène. La rencontre entre l’oeil est la voix est usuellement interdite. La transgression de cet interdit est l’obscène. Celui-ci obéit à une voix qui enjoint le dévoilement sans faille.

L’art contemporain est l’expression de l’espace vocal; il en est aussi une tentative de réparation. Le basculement intervient au début du 20ème siècle. Soudaineté dans le temps. Il y a des étapes : impressionnisme, symbolisme, surréalisme et art abstrait. Chacune de ces étapes apporte une dimension qui lui est propre : vécu psychologique, idéation (rupture avec l'imitation et la nature), nécessité intérieure. Mais chaque étape survient sans prévenir.

Universalité du basculement, dans tous les arts et les moyens d’expression. Notion d’”oeuvre globale” qu’on trouve dès Wagner, et qui prend une forme de juxtaposition avec Kandinsky et Scriabine. Exemple : pratiques diverses de Kandinsky et de ses amis vers 1908-12. Poésie, théatre, musique, peinture (qui vire à l'abstrait). Kandinsky compose vers 1910 "Sonorités jaunes" (recueil de poésies) (édité en 1913). Il s'éloigne de plus en plus de la syntaxe et du vocabulaire existants, sans pour autant faire de purs poèmes sonores. Cela évoque la poésie surréaliste. Long et célèbre poème Bassor (Fagott) = description minutieuse de couleurs, de sonorités et de leurs concordances. Proximité des thèmes mis en avant avec ceux de la voix.

L’art exprime “’la voix intérieure de l’âme” (symbolisme). L’oreille de l’artiste doit être tendue vers la voix de la nécessité intérieure et son oeil vers sa vie intérieure (Kandinsky). L’harmonie subsiste comme voix idéale. Abstraction pure. L’harmonie se sépare des objets [qui n'ont plus à être "beaux" comme objets, mais seulement comme représentation, cf le symbolisme], mais aussi des mythes, des récits, des méthodes, des "règles de l'art", etc... On aboutit au concept d'une "pure harmonie" qui trouve sa loi dans les lignes (stylisées), les couleurs (Chevreuil et Seurat), les formes, etc... Ceci conduira de l'impressionnisme à l'art abstrait. Cette séparation est "objective". Elle est dans le discours. Elle est désapprouvée par l'immense majorité des individus, ce qui n'empêche pas d'être la loi qui s'impose à tous.

Les disharmonies sont vocalisées comme voix multiples. Ça hurle. Ça se délite. Ça flotte. Ça bouge. Comme non-voix.

Paradoxalement, l’harmonie est une voix sans voix, car le propre d'une voix est d'être un organe. Si la voix revient, elle entraîne avec elle l’organe. La forme vocale est organique, et comme telle ne peut pas être harmonieuse.

La voix de l’auteur (signature) remplace l’oeuvre. L’art de Beuys est représenté par sa voix, représentée par sa signature. L'espace appauvri de Beuys, et la médiocrité de la création elle-même, supposent, ailleurs, la voix de Beuys qui commande : Aimez ce que je fais!! Ce qui est représenté par le nom de Beuys, sa signature, ce n'est pas Beuys lui-même, c'est sa voix, sa voix qui nous commande de nous taire, de rester bouche bée devant sa pseudo-création.

La distinction entre le musical et le non-musical s’affaiblit. Evolution interne à la musique. La musique s’étend jusqu’aux limites de l’espace auditif.

La musique actuelle témoigne de la voix. Difficile rapport avec l’harmonie. L’espace vocal se construit sur ce difficile rapport.

Jazz et rock ont été les vecteurs de la vocalisation de l’espace. Ils mettent en scène la pulsion vocale. Le jazz fait ressentir la vibration comme telle (Charles Mingus, et plus généralement les basses). Vocalises étranges, barbares, qui cassent le discours. Double métamorphose : instrumentalisation de la voix et vocalisation de l'instrument. Quelque chose de la pulsion vibre au plus profond. Effet de disruption. Le jazz est le temps du spasme. Inscription du corps. Avec le jazz, les traces corporelles de la production du son ne sont pas effacées dans le produit. Moire multiple de sons possibles. Chaque soliste a sa propre coloration instrumentale. Il n'y a pas de sonorité "juste". Le jazz marque le retour du sujet dans la musique occidentale.

La musique contemporaine valorise les sons qui se distinguent les uns les autres (qui ne se fondent pas dans un bruit ou une harmonie), plus particulièrement les aigus (sopranos). En ce sens elle fonctionne comme un contre-poids aux réalités du bruit (envahissement par des graves). Elle a le souci de l’espace. Par ses dispositifs. Par son écriture. cf la tentative à la fin des années 40 de nouvelles notations proportionnelles au temps : Cage, Earle Brown.

Ce n’est pas un hasard si l'on utilise souvent des métaphores vocales, musicales ou auditives pour décrire la peinture contemporaine. Rapprochements innombrables entre peinture et musique. Déjà au Bauhaus, Itten analysait l’image en termes de lignes de rythmes.

Dans l’espace vocal, l’esprit de système peut se déployer totalement. Un tableau est exclusivement un ensemble d'éléments plastiques liés par un principe ordonnateur (comme en musique). Exemple de François Morrelet depuis 1953 : systèmes structuraux répétitifs, rythmés, intelligibles, objectifs. Refus de toute expressivité. Minimalisme. Emotion esthétique pure, car il n'y a rien derrière elle. Simple jeu libre et gratuit de l'énergie mentale, qui s'appuie sur des signes esthétiques expressifs (quoique purement structuraux). A rapprocher de l'oeuvre musicale de Steve Reich. Les principes structuraux sont les mêmes.

Rapprochements innombrables entre la peinture et l’écriture. Représentation des lettres et des mots. La lettre représente la voix; la figurer fait entendre le bruit visuel (Ruscha). Retour du signifiant dans le visuel. Aucun courant actuel n’échappe à l’espace vocal.

Goya dès 1820-23, après la déception napolénonienne. Personnages effrayés, angoissés, bouches ouvertes. Moment de suspension. Vers 1820, Goya anticipe la seconde modernité par un arrêt sur le point de voix. Les personnages d'"Asmodea" le regardent avec effroi. Ils sont visés par un fusil (napoléonien) et observent une montagne, moderne Massada qu'ils désignent avec stupéfaction. C'est un espace qui anticipe l'expressionnisme abstraitement grandiose et aimantant le spectateur. Des rires grotesques in "Dos mujeres y un hombre" nous rappellent les sourires populaires du jeune Goya, mais avec une dimension de perte, d'absorption infinie : c'est un trou. La voix y est un trou. Dans les peintures noires de Goya, les bouches sont des trous d'angoisse. Saturne engloutit tout le corps de la voix. Les personnages de "El Aquilarre" (la messe noire?) sont fixés bouches ouvertes sur une forme noire (un bouc) qu'elles semblent idolâtrer, dans un effroi indicible. Le bouc a deux chofars sur la tête (ce qui est normal...). Il semble lui-même pétrifié. N'est-ce pas une adoration de la voix émergente? les vieillards ne parlent pas. Ils sont dans une sorte de suggestion les uns vis-à-vis des autres. Etres infernaux qui susurrent de noires paroles dans les oreilles de leurs pareils. dans la "Romeria de San Isidro", les bouches sont grandes ouvertes, véritablement béantes, monstrueuses. Elles produisent un chant de mort qui vous glace par simple vision.

L’art abstrait (Mondrian, Van Doesburg, Klee, Kandinsky, Miro...) reprend à son compte les puissances créatrices de la voix. Il a toutes les caractéristiques de la voix comme acte fondateur :

- il ne nécessite aucun objet,

- caractère absolu de l'énergie créatrice (de l'artiste),

- il libère la forme pure, sans aucune contrainte du réel.

- exclusion des formes naturelles, remplacées par un artefact linguistique,

- "universalisation anhistorique", cad réduction des qualités à des traits.

L’art abstrait fait retentir en nous la sonorité de ce qui est visible. La vie intérieure du monde nous devient audible. Nous la ressentons plus intensément.

Les titres des oeuvres abstraites sont des tenant-lieux de voix. Les points de repère ayant disparu de l'espace (ceux de la perspective et les autres) reviennent à travers le titre. Désigner l'oeuvre "Sans Titre" est encore un titre : c'est la voix qui se retire. Que se passe-t-il quand la voix se retire de l'espace vocal? On est renvoyé à l'oeuvre. Il faut se contenter de l'oeuvre pour se substituer... à la voix.

Avec le futurisme, le mot vocal vit et respire sur le papier comme un être vivant. Marinetti démontre vers 1914 que cette vocalisation est une énergisation. L'énergie contenue dans le mot est libérée, dynamisée. D'où la parole en liberté sur l'espace typographique. Soffici se fait le théoricien de la libération de la lettre. Cette thèse semble confirmée par l'évolution d'un courant de la poésie anglo-saxonne autour de la poésie visuelle, concrète, sonore. Dada est la manifestation spectaculaire et glorieuse du point vocal. Hugo Ball et Raoul Haussmann mettent en scène la voix comme matériau vers 1917.

L’image de voix est une formation de compromis où la voix représente l’inconscient et l’image les forces du moi. Il n’y a d’image de voix que parce qu’il y a conflit inconscient. Ne pouvant pas représenter la voix, on représente des rebuts de voix : mots, images, figures. cf Magritte, qui figure le rebut de la voix (mots, images, figures) et reconnait la dimension d’échec de cette stratégie.

A la place des voix, irreprésentables, on met des mots, des déchets, des rebuts. Et finalement (après être allé au bout de l’abstraction), on avoue la détresse ultime devant la perte de la voix : le silence.

Les yeux clos symbolisent la vocalisation de l’espace artistique (Redon, Gauguin, Rodin, Brancusi, etc...). On ferme les yeux pour entendre, ce qui revient à dire qu’on renonce à l’image pour s’envelopper dans un pur espace auditif.

L’émergence du cinéma parlant est un événement historique de grande ampleur. Artaud le dit dès 1929, c'est-à-dire peu après l’émergence de ce cinéma. Processus qui conduit à substituer la parole à l’image (c'est-à-dire qui va dans le sens inverse de la dictature des images souvent dénoncée). Sa structure est celle de l’espace vocal : un hors-champ habité par une voix qui est le corollaire du champ. Retrouvailles impossibles de la voix avec un corps qui la localiserait. La voix et l'image ne peuvent y apparaître que couplées. Impossibles retrouvailles en une unité mythique à jamais perdue. (L'espace vocal est l'unité mythique du corps et de la voix). Le cinéma parlant n'est que du ficelage. Quand il ne dénie pas la dissociation, il va au coeur de l'effet de réel. cf les films Psychose et Dr Mabuse. Le gore est un art du cri.

Un film est la concrétisation de la voix du metteur en scène, en train de hurler dans un haut-parleur. La voix rôde au-dessus du film. La voix ne se stabilise que par des artefacts ou des rites. Synchronisation rituelle voix/corps. Doublage et play-back sont devenus un code où l'on ne se préoccupe plus des effets de croyance. L'image dit au son : cesse de flotter partout et viens habiter en moi. Le corps s'ouvre pour accueillir la voix. Mais la voix reste "de passage" dans le monde de l'image. Le corps n'espère plus fusionner avec la voix. On se contente d'accomplir ce qui était écrit (rite). Cette synchronisation se fait dans le temps, mais pas dans l’image. Synchronie mouvement des lèvres / émission vocale, pour supporter la croyance. Mais on accepte la plus grande incohérence spatiale entre ce que l'on voit et ce que l'on entend (Ex : personnages éloignés et voix proches). La voix n'est accrochée à un corps que conventionnellement. Des signes codés intermittents nous la garantissent. On se permet aujourd'hui toutes les fantaisies de repérage du son dans l'espace.

Les musiques de films inversent l’image de voix en voix de l’image. D’où leur formidable succès : une association image/son qui rassure.

Godard, dont l’image est purement vocale, est la voix du Ctp. (Il faudrait revoir l’ensemble de la filmographie de Godard à partir du concept d’espace vocal et de mes notes). Il semble griffer les images avec le concours des sons. Ceux-ci débordent le cadre de toutes parts. Dérive de la perception. Images façonnées par le son, comme les mots dans les oeuvres lyriques. Godard magnifie ses images avec la musique. Les mots du langage sont victimes de sa voix. La musique devient révolutionnaire en ce sens qu'elle bouleverse l'image et s'en empare. Ce qui apparaît n'est plus contrôlable. Trouble et questionnement. L'image éclate, se décompose en une infinité de sensations, de sollicitations.

Le langage de l’espace vocal se parle difficilement au théatre. Il se situe à mi-chemin entre le geste et la pensée, loin de toute déclamation. Artaud et son théatre de la cruauté. Expression dynamique. Expansion hors des mots. Action dissociatrice et vibratoire sur la sensibilité. Le langage visuel des objets est prolongé jusqu'aux signes, en faisant de ces signes un alphabet. Symbolisme hiéroglyphique. Langage dans l'espace de sons, cris, lumières, onomatopées. Métaphysique de la parole, du geste, de l'expression.

La danse et la chanson remplacent le père défaillant. La danse tente d’unifier l’espace vocal.

Il n’y a pas que la danse qui soit dansante, mais toute la perspective, comme Miro en témoigne. Le travail de Picasso sur Goya ou sur Velasquez est aussi une “mise en danse”.

La littérature actuelle est un espace souverain de pur langage. C’est l’effet que produit Mallarmé. Dans cet univers, les pouvoirs du mot s'affirment par le son, la figure, la mobilité rythmique. Mallarmé crée un objet de langage : le "poème-chose" qui soit comme le langage de l'être muet. L’”espace littéraire” de Blanchot n’est autre que l’espace vocal. Son point central est celui de Mallarmé : l’accomplissement du langage coïncide avec sa disparition. Une écriture qui peut se définir comme “effet de voix”’. Substituer à l’ordre syntaxique un autre ordre fondé sur le rythme de la pensée vivante.

Depuis que Mallarmé a lancé son coup de dé, la voix change le verbe et le monde. L'éditeur n'est que le symptôme de ce qui se passe hors le livre. Le poète moderne est sorti du livre comme il est sorti du mur. Il s'implique dans sa totalité avec sa voix et son corps. Son texte n'en est que l'aspect résiduel.

 

 

 

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