Il y a toujours eu du sans-voix, mais sa trace était scellée, innommable. Les choses ont changé. Le 20ème siècle a subi massivement sa poussée délétère. Les victimes sont nombreuses : le sens, la forme, les mots, l'art. Le sans-voix se répand partout. Porté par la technique et les machines, il s'appuie solidement sur la science, dont l'écriture se passe de voix.
Dans les arts sans voix (peinture, musique, sculpture), il a été longtemps compensé par des incitations à la rhétorique. Mais depuis la photographie, ça ne marche plus.
L'image est sans-voix. N'est-elle pas muette, comme d'autres arts? Même si l'on tente de l'assujettir au récit, elle y résiste. Elle est inscrite dans le discours, mais elle s'en joue. Qu'elle soit figurative, géométrique, informe, concrète, construite ou désarticulée, polychrome ou pas, sexuelle, humoristique ou intellectuelle, elle met en présence d'un réel difficile à dire. Elle ajoute autre chose, dont je ne peux rendre compte ni par la voix, ni par l'écrit.
Cette remontée du sans-voix à la surface est une des explication les plus simples, les plus immédiates et les plus élémentaires de l'art abstrait. Ce processus est présent dans tout dessin, et prolifère à notre époque. Puisque l'image ne veut rien dire, autant prendre acte du non-dit par l'explosion des couleurs, la forme ou le mouvement.
S'il n'y avait qu'un sans-voix, il serait mystique, mais il y en a des multitudes (des gens, des objets, des animaux, des images, des processus, des pulsions qui imposent ou qui trouent et même des voix). Ils varient selon les points de vue et les époques. Les événements les provoquent, les perturbent et les changent.
Quand la voix elle-même est sans voix, je l'appelle Vox.
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