Si la nature n'a rien à dire, ce n'est pas seulement parce que son langage est incommunicable, muet et sans nom, c'est [aussi] parce qu'on a plaqué sur elle quelques lois dites universelles qui l'ont phagocytée. Depuis qu'elle est supposée respecter scrupuleusement ces lois, plus personne ne l'écoute. Avant même de n'avoir rien à dire, elle se tait, contrainte et forcée; mais ça ne l'empêche pas de parler avec tous les autres, animaux, végétaux, minéraux, poussières d'énergie et autres particules plus ou moins substantielles. Il faut bien que toutes ces choses continuent à dialoguer entre elles. En fait ce n'est pas elle (la nature) qui n'a plus rien à dire, c'est nous qui considérons qu'elle n'est plus qu'un objet à décrire, une source de répétition, d'ennui ou d'harmonie superfétatoire. Un certain romantisme est bien mort. On fait confiance aux scientifiques et aux techniciens, mais on n'y croit plus. Si la nature fait quelque chose, ce faire n'a plus rien de créatif.
L'ordre de la nature n'a plus rien d'intangible ni de sacré. Ce n'est plus qu'un paquet d'équations. La loi de la nature n'a plus rien de sublime, elle ne reflète que notre indifférence. La beauté de la nature n'est plus que celle de notre vision - à moins que ce ne soit celle d'une bonne mère bien sympathique. L'unité de la nature, qui a remplacé celle de Dieu, n'a plus rien d'exaltant - et son génie est aussi dévalorisé que celui de l'artiste. D'ailleurs l'art n'imite plus la nature, il s'en arrache.
|