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Ce qui se dit d'un film n'est qu'une rémanence : ce qu'il en reste après qu'on l'ait vu.
Extraits de l'article "Rémanence" du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales :
- Fait de se maintenir, de persister; durée, permanence de quelque chose. Synonyme : persistance. Rémanence d'une superstition.
- En physique, persistance partielle d'un phénomène après disparition de la cause qui l'a provoqué.
- Rémanence d'un écran fluorescent : persistance temporaire de l'émission lumineuse d'un écran après cessation de l'excitation.
- Agriculture : propriété d'un produit antiparasitaire dont l'action se fait encore sentir dans le temps bien après son application. La rémanence d'un insecticide, d'un fongicide ou d'un désherbant dans le sol ou dans la récolte peut entraîner des risques de toxicité pour les végétaux cultivés ultérieurement sur ce sol ou pour les consommateurs.
- Propriété de certaines sensations de subsister après la disparition de l'excitation qui leur a donné naissance. Rémanence des images visuelles.
- Parapsychologie : vibrations positives ou négatives qui imprégneraient un lieu précis après un événement du passé. Rémanence d'une maison, d'un mur, d'une pièce, d'une poutre. Dans une maison où il s'est passé quelque chose, des événements intensément vécus comme des souffrances, des meurtres, les murs sont en quelque sorte imprégnés de ces vibrations qui sont créées par la douceur ou par la peur ou par l'amour exagéré.
- Demeure, résidence, fait de rester au même endroit.
- Persistance d'une modification de la matière brute après qu'elle ait été soumise à certaines influences.
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On nomme orloviennes les rémanences qui, parfois sans raison particulière, ont été laissées dans l'Orlœuvre.
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(Par ordre chronologique de sortie des films).
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Propositions
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- Une femme sur la lune (Fritz Lang, 1929) - Dans chaque film opère un compte à rebours : comme une apocalypse, le temps du cinéma est toujours sur le seuil de sa fin
- Le testament du docteur Mabuse (Fritz Lang, 1933) : Ce qui nous relie à un film ressemble au cordon ombilical : un flux sonore continu qu'il ne faut surtout pas couper avant la fin
- Dans "La règle du jeu" (1939), film sur l'égalité, Jean Renoir montre un bouc émissaire qui pourrait être n'importe quel homme
- A la création du monde, la lettre du mot créateur est allée en haut, tandis que le son demeurait en bas (Rosebud dans "Citizen Kane", d'Orson Welles, 1941)
- Une mélodie obsédante porte une structure d'aveu : elle ouvre le mouvement d'une confession qui n'a pas encore de contenu ("L'ombre d'un doute", film d'A. Hitchcock, 1943)
- Les parents terribles (Jean Cocteau, 1948) : par un cadrage épousant le rythme pur de l'attention, faire éprouver le sentiment d'une présence totale à l'événement
- Mon père est si complaisant à l'égard du nazisme que je ne peux faire autrement que de me tuer moi-même ("Allemagne année zéro", film de Roberto Rossellini, 1948)
- Vertigo (Alfred Hitchcock, 1957) - Tu es morte, ton monde a disparu, il faut que je te porte
- Six femmes pour l'assassin (Mario Bava, 1964) - La grande triade de l'art moderne, c'est sexe, sang et mort
- Nul ne dispose d'un héritage, pas même son propriétaire ni son spectre ("Guêpier pour trois abeilles", film de Joseph Mankiewicz, 1969)
- Deux ou trois choses que je sais d'elle (Jean-Luc Godard, 1967) - S'approprier le corps et la voix des femmes par le proxénétisme du texte et du montage
- Rosemary's Baby (Roman Polanski, 1968) - On exhibe les preuves d'angoisse, de crainte qu'il n'y ait plus de sujet pour l'éprouver
- Notre époque ne peut imaginer d'autre salut que le plaisir comme bien public (Barbarella, film de Roger Vadim, 1968)
- "Invasión" (Hugo Santiago, 1969) - Où la liberté la plus absolue et l'inconditionnalité la plus pure rejoignent la clôture la plus close
- Les Damnés (Luchino Visconti, 1969) - Avec les nazis, ces bouchers de la filiation, l'extrême violence (Gewalt) est indissociable de la famille (Geschlecht)
- Une femme sous influence (John Cassavetes, 1972) - Un film-marge, un film-limite, un film-border-line comme Mabel
- American Graffiti (Georges Lucas, 1973) - Entre montée du droit au plaisir et épuisement d'un certain humanisme
- L'hypersensibilité tragique d'Edvard Munch est l'écho de notre époque (La Danse de la vie, film de Peter Watkins, 1974)
- Dans "Blow Out" (Brian de Palma, 1981) est à l'oeuvre une déconstruction de la greffe audio-visuelle : démontée, mise en scène dans son impossibilité, elle est réinscrite dans le fantasme
- Fitzcarraldo (Werner Herzog, 1982) - Où l'économique et l'anéconomique se brouillent et se confondent dans la même démesure, la même circularité fantasmagorique
- Zelig (Woody Allen, 1983) - L'identité de celui dont l'identité est de ne pas en avoir est aussi une identité, celle qui oblige à vivre dans l'aporie
- Shoah, le film de Claude Lanzmann (1985) témoigne de l'impossibilité du deuil
- The Unbelievable Truth (Hal Hartley, 1989) (L'incroyable vérité) - Une rupture dans la chaîne d'endettement, ça rend libre, il est incroyable que ça puisse arriver
- Il arrive qu'une famille divisée s'unisse - mais pour le malheur (Family Business, film de Sidney Lumet, 1989)
- On ne me propose plus qu'un seul chemin, celui du bavardage vide (Palombella Rossa, film de Nanni Moretti, 1989)
- Le Graal est une autre identité, une identité d'ailleurs (Indiana Jones et la dernière croisade, film de Steven Spielberg, 1989)
- Je sauve mon fils pour qu'il me reconnaisse
- L'"aimance" tient à cela qu'il vaut mieux aimer, même dans la dissymétrie entre l'aimé et l'être-aimé, et même en aimant un mort - Poison Ivy (film de Katt Shea, 1992)
- La position du père étant devenue intenable, on ne peut faire semblant de la tenir qu'au prix d'une permutation avec le fils ("Hook", La revanche du capitaine Crochet, Spielberg, 1992)
- Trop rouge le sang des meurtres, trop politique la douleur du viol, trop beau le film sur la violence ("La reine Margot", film de Patrice Chéreau, 1994)
- Il y a de la violence dans tout geste de filmer, et de la cruauté dans tout cinéma documentaire ("Délits flagrants", film de Raymond Depardon, 1994)
- Voyage au début du monde (Manoel de Oliveira, 1996-97) - Le monde ancien se vide
- Au cinéma, la voix pure, séparée du corps, est porteuse de sainteté ("Breaking the Waves", film de Lars Von Trier, 1996)
- Ce que j'ai de plus singulier a déjà été dit par la voix la plus courante : celle de la chanson ("On connait la chanson", film d'Alain Resnais, 1997)
- Aujourd'hui les pères sont des losers, il est temps qu'ils disparaissent pour laisser la place au père idéal - c'est-à-dire mort (American Beauty, film de Sam Mendes, 1999)
- "Nous sommes sortis de l'ère de l'abandon, espérons que nous rentrons dans l'ère de l'hospitalité" (Les Noces de Dieu, film de Joao Cesar Monteiro, 1999)
- Pour être juif et laïc, il faut s'adresser à l'étranger qui est en soi (Dieu est grand, je suis toute petite, film de Pascale Bailly, 2001)
- Blue Velvet (David Lynch, 2001) - En rêve ou en fantasme, je reste engagé, inconditionnellement, envers l'autre : son monde est anéanti, il faut que je la porte
- Huit Femmes (François Ozon, 2002)
- L'Arche russe (Alexandre Sokourov, 2002) - L'oeil invisible qui, en voix off, scrute l'histoire de la Russie
- Vous n'y pouvez rien, vos fils vous sont étrangers, même s'ils sacrifient leur coeur pour vous (L'intrus, film de Claire Denis, 2004)
- Après tout, malgré tout ce qu'on prétend, il n'est pas impossible d'être père! (Broken flowers, film de Jim Jarmusch, 2004)
- L'immoralité paie, si elle est soutenue par le hasard (Match point, film de Woody Allen, 2005)
- "Mon père, pour moi, était mort dès le départ" (Les lois de la famille, film de Daniel Burman, 2005)
- On peut jouir d'un seul coup, en une seule fois, la jouissance de toute une vie ("Gabrielle", film de Patrice Chéreau, 2005)
- Goya, artiste, personnifie les paradoxes et contradictions insurmontables de la modernité (Le fantôme de Goya, film de Milos Forman, 2005)
- Entre tous les passés et les futurs possibles, il est impossible de trancher (L'immeuble Yakoubian, film de Marwan Hamed, 2005)
- Si la mémoire de la guerre d'Algérie se transmet, c'est par des traumas qui restent secrets, inavoués (Caché, film de Michael Haneke, 2005)
- Truman Capote prétendait sauver les tueurs; il n'a même pas réussi à se sauver lui-même (film de Bennett Miller, 2005)
- Dans ce monde de médusation générale, nous flottons ("Les Méduses", film de Etgar Keret et Shira Geffen, 2006)
- Nul n'est indifférent à sa filiation (Le voyage en Arménie, film de Robert Guédiguian, 2006)
- On peut mettre en film le pur plaisir d'être une femme ("Caramel", de Nadine Labaki, 2006)
- Le seul homme qui vaut la peine - "il faut qu'il meure" (La fille coupée en deux, film de Claude Chabrol, 2007)
- Pour montrer la figure de l'horreur, il faut prendre ses distances, dynamiter les genres ("Valse avec Bachir", film d'Ari Folman, 2008)
- La structure de l'image filmique est testamentaire : pour témoigner d'une date unique, singulière, elle la répète, la cite, la réduit en cendres (Cloverfield, Matt Reeves, 2008)
- Cloverfield (Matt Reeves, 2008) - Un film présuppose un archi-décalage impossible à montrer : l'écart filmique comme tel
- Après tout, ce n'est pas un crime de vouloir rester jeune (La Comtesse, Julie Delpy, 2010)
- Dans le "Hors-Satan" de Bruno Dumont (2011), rien ne permet de prendre ses distances à l'égard des clichés les plus conventionnels
- Le destin de Laura Palmer ne diffère pas de celui des autres personnages : morts, mais toujours présents (Twin Peaks, série de David Lynch, 1989-90)
- Ne croyez surtout pas que je hurle (Frank Beauvais, 2019) - Il faut, pour se débarrasser d'une addiction aux écrans, faire un film
- Mother, I Am Suffocating. This Is My Last Film About You (Lemohang Jeremiah Mosese, 2019) - J'ai une patrie, mais ce n'est pas la mienne
- Joker (Todd Phillips, 2019) - A la puissance démesurée des financiers et des médias, l'exclu ne peut répondre que par une autre force exceptionnelle : le rire du clown
- L'écranophile (Ozzy Gorgo, 1988-2019) [Ecrano]
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- Ozzy : Un film est fait pour le grand nombre. En tant que produit industriel, il doit pouvoir être montré à un public entier, collectivement - voire à plusieurs publics, il doit pouvoir fonctionner dans la durée, et en même temps il faut qu'il soit destiné à chaque spectateur individuellement, il faut que chaque regardeur se sente convoqué dans ses questionnements, ses difficultés, ses crises ou ses conflits, qu'il le reçoive comme un message qui lui soit adressé à lui, ce jour-là, personnellement, et à nul autre. Ces deux contraintes semblent contradictoires, et pourtant elles se complètent. Il n'y aurait pas de cinéma sans l'une et l'autre. Il en va pour un film comme pour une chanson : en lui se nouent l'interchangeable et l'incomparable, le banal et le singulier. Quand j'analyse un film, quand j'en parle, c'est toujours vers ce nouage que je me dirige.
(Antoinette : Il s'agit, devant tous ces films, ces objets filmiques, de dire "je". On peut toujours discourir, donner un avis, mais se poser vraiment comme un "je", c'est la chose la plus difficile).
- Ozzy : Il y a des films dont on a envie de parler, sur lesquels on a envie d'écrire, et d'autres non. Ça ne se commande pas. Il y a ceux sur lequels on a envie de mettre trois mots ou trois lignes et d'autres un livre entier (ce qui n'implique aucune hiérarchie, pas même du goût). Ce qui arrive dans la discussion orlovienne n'est ni de la critique, ni de la mise en relation (que ce soit entre personnes, mots, phrases ou idées). Il y a d'autres lieux. Dans cette recension où les films sont bêtement rangés par ordre chronologique (classement absurde), on ne fait rien d'autre que d'ajouter des traces aux traces. Si les films n'étaient que des réserves de formulations, de phrases, d'images, de mouvements, d'affects, de proférations et de propositions, cela ne servirait à rien. Mais ils sont aussi des trouées dans le temps (si ce n'est dans la pensée). A l'autre bout du tunnel, il y a toujours encore quelque chose.
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