La musique fait partie de cette série très particulière de choses (comme par exemple l'art) dont on dit communément qu'elles sont indéfinissables - ce qui excite notre désir de les définir. Impliquant le corps, l'audition, le langage et la voix, elle est universelle, mais aussi universellement considérée comme mystérieuse, externe, ce dont témoignent bien des mythes dont ceux de Syrinx ou d'Orphée.
Depuis que les hommes savent dessiner, ils ont représenté des musiciens ou des instruments. Ils ont aussi eu envie de représenter la musique elle-même. Mais la "musique elle-même", comme "la voix elle-même", est impossible à représenter. Elle est comme une lettre muette. Quand les peintres ont un peu d'humour, ils représentent des chanteurs qui font semblant de chanter, ou des pianistes qui se dissolvent dans leur propre musique. Quand ils en ont moins, ils laissent l'espace se soumettre à la sonorité.
Comme le dessinateur, le compositeur compose avec ses mains.
La musique présente toutes sortes de contradictions à la fois insolubles et sympathiques : elle est faite pour le plaisir des sens tout en étant réputée spirituelle, elle excède toujours ses limites, parfois jusqu'au chaos, tout en étant un vecteur d'ordre, elle est une louange, mais s'écoute avec les lèvres. C'est une spécialité d'une haute technicité, mais aussi un modèle d'émotion. Comme elle traverse le corps, elle est dehors et dedans. Mais peu importe, puisque, selon Derrida, on n'a pas besoin d'y croire pour s'y livrer.
Les puissants se servent de la musique. On fait chanter les enfants comme les citoyens, dans l'espoir qu'ils proclament eux-mêmes un impératif non-dit.
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