Il y a (au moins) deux régimes de transmission :
- de "père légitime en fils bien né" (comme Derrida s'exprime). C'est celle du mythe ou du logos qui s'opère de vive voix, sans intermédiaire, de bouche à oreille, sans autre garantie que la présence immédiate du père, sa parole. Je suis à l'écoute, j'entends, j'écris sous la dictée.
- de père mort à fils orphelin. Ce qui se transmet n'est pas la voix (ni du père ni de la mère), mais la lettre ou le texte. Personne n'en garantit le contenu ni la stabilité. On a beau le questionner, il ne répond pas. Le bien peut virer au mal, le remède (pharmakon) au poison ou le père à l'empoisonneur (ce qui n'est pas sans susciter quelques scènes de famille un peu pénibles). Le fils, forcé de partir en voyage, découvre l'errance. Sa voix n'est plus porteuse de filiations.
La transmission est aussi incontrôlable que la respiration. Nul n'en est propriétaire, pas plus que de la trace qu'elle va laisser. Quand on fait un don, on se desaisit de l'objet donné, on accepte d'ignorer ce à quoi il va servir. Celui qui le reçoit peut oublier le nom du donateur, sa personne, sa voix et même ce qu'il a donné. Nul ne peut prévoir ni programmer la transmission, elle est incalculable.
Un fantasme de transmission intégrale, sans perte, est effrayant, même s'il ne concerne que des formules mathématiques. Une telle transmission ferait de nous des anges déshumanisés ou des conspirateurs, enfermés dans un espace clos. Elle n'existe nulle part, pas même sur l'Internet, qui n'est que production de discours et effets de sens.
Le problème, c'est que les spectres exigent d'être entendus. Il leur faut au moins un travail de deuil, voire plus. Nous ouvrons le tombeau, mais un mort ne peut pas parler à un vivant, mais seulement à un autre mort.
L'héritier virtuel n'est pas toujours dépourvu de marges de manoeuvre. Même s'il est impossible de renier certains héritages, il arrive qu'il puisse choisir. Il peut devenir le fils ou la fille de son père, soit directement soit par des voies détournées (ainsi l'avant-garde en art, ou le kitsch, devenus d'étranges refuges de la tradition).
N'oublions pas que la transmission passe par des gens, des chaînes d'individus, de génération en génération.
Le projet Idixa recueille et transmet. Ne recherchant aucune cohérence, ne visant aucune maîtrise, il se fait le véhicule de l'hétérogène. Choisit-on ses filiations? Choisit-on ses lecteurs?
On ne recueille pas tout. La plupart des voix sont perdues, même par les anges.
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