Le mot montage évoque spontanément la mécanique (monter une machine) ou le cinéma (monter un film). On n'imagine pas nécessairement qu'on puisse aussi lui attribuer une dignité ou une fonction philosophique ou esthétique, voire une place dans l'histoire de l'art. C'est pourtant le cas. Montage est l'un des mots de notre époque, comme on dit que la biologie est la science du 21ème siècle.
Qu'est-ce qu'un montage? C'est un artefact, un rapport entre éléments d'une suite (images ou sons) qui, par association et réminiscence, produit un sens chez le spectateur. Le cinéma, qui est l'art le plus machinique, ne pénètre le réel que par la caméra et d'autres machines. Il ne ne sait fabriquer du continu qu'à partir d'images discrètes (les photogrammes), et ne peut produire d'effet illusionniste que par ses appareils. C'est l'art qui a donné au montage sa plus large extension. Mais depuis le début du 20ème siècle, le montage a envahi tous les champs pour créer un autre type d'espace où la distance esthétique entre l'oeuvre et le spectateur est réduite. Il s'est ajouté aux autres formes, plus classiques, de la représentation, sans les abolir mais en les transformant de l'intérieur. La structure de l'image a changé. Elle a perdu son unité, s'est muée en une sorte de kaléidoscope. Et comme nous ne pouvons pas éviter de penser en images, c'est toute la construction de l'histoire et du temps qui a été affectée. Nous nous repérons moins sur des récits ou des formes, et plus sur des continuités/discontinuités, des associations, des différences, des liens ou des séquences.
Le montage n'obéit qu'à une seule contrainte externe : que subsiste un certain degré de croyance. Il s'agit à peine de croire en une "réalité" ou une "vérité" montrée par l'oeuvre - car nous savons qu'elle est fabriquée. Nous ne sommes pas dupes, nous n'ignorons pas que même les documentaires les plus réalistes sont des fictions ou des simulacres. Pour regarder ce qu'on nous donne à voir, il faut que nous ayions une certaine confiance dans le témoignage du signataire. Mais l'autre vérité est que nous sommes aveugles à tous les autres montages qui auraient - virtuellement - été possibles.
Le montage se passe aisément de référence. Usant de ses moyens spécifiques (par exemple le gros plan ou le contre-champ), il révèle des agencements invisibles ou inconscients. Il impose un ordre, une rhétorique qui assigne une place au sujet.
Le paradigme du montage dépasse largement les arts visuels. Il contamine la politique comme la philosophie. Ainsi, par exemple, Jacques Derrida explique-t-il que si son écriture est déconstructive, c'est parce qu'elle est comparable à un film. Il y a en elle à la fois une sorte de composition et une sorte de bande-son. La contamination des technologies passe aussi par l'image et par une certaine forme de bricolage inventif. Comme le cinéma, elles muent en une écriture aussi directe que sophistiquée.
Autre exemple de ce type de montage constructif/déconstructif : l'Orloeuvre.
|