Le cinéma de notre époque contribue à régler le rapport au désir. Privilégiant l'individuel sur le social, il incarne un imaginaire intensément vécu, où le spectateur trouve des points d'appui pour préserver et entretenir son propre désir. Alors que le roman ou le théatre préservaient la personnalité du lecteur, le cinéma demande au spectateur de renoncer à ses capacités critiques pendant le temps du film.
Sur l'écran, nous voyons des objets qui, en réalité, sont absents. Ce clivage de la croyance nous émerveille et libère notre imagination. Nous en jouissons comme d'un fétiche. Nous entrons dans le fantasme d'autrui, tel qu'il a été stabilisé par le scénario et la mise en scène. Des désirs ou des pulsions usuellement refoulés peuvent être, selon les cas, flatté ou déçus; en tout état de cause, ils sont réactivés.
En exigeant du spectateur l'immobilité, la suspension de ses investissements d'objets habituels et la prise de distance par rapport à la projection, en le réduisant à un pur regard où à l'immédiaté d'un acte de perception, le cinéma favorise des facteurs inconscients ou fantasmatiques qui, dans la vie courante, ne viennent pas à la surface. Tout-puissant, tout-percevant, en état de faiblesse ou invité à regarder des scènes qui fonctionnent comme scènes primitives, le sujet est conduit à s'identifier à des personnages ou à des héros dont la liberté est factice. Il est plongé dans un monde hallucinatoire. Les mouvements de la caméra contribuent à affaiblir et même parfois détruire son unité subjective.
Tout film est un film de fiction qui réélabore certains contenus inconscients. Le fait que la rêverie soit éveillée oblige à structurer ces contenus, à les subordonner à une impression de réalité, mais ne les détruit pas. Le spectateur se laisse aller au film dans ses trous de conscience. Il peut vivre une autre relation d'objet, un autre érotisme, un autre rapport à l'amour. Les censures ne sont plus les siennes, mais celles du film. Il y a là une obscénité irréductible.
Quand nous adhérons à un film, nous nous identifions à d'autres corps que le nôtre - sans pour autant tomber dans l'illusion d'un rapport objectal plein.
Par le cinéma, nous nous nous accoutumons à des codes hétérogènes auxquels nous pouvons nous identifier.
|