Sauf rares exceptions, tous les films se construisent autour de la voix - pas seulement de sa sonorité ou de l'amplification dont elle fait l'objet, mais de sa fonction comme fil conducteur. C'est elle qui appelle l'attention, organise le scénario comme l'écoute, structure le discours, fait du film un monde. C'est elle qui gouverne l'image et qui finalement est le cinéma (ou son secret). Le spectateur, pris dans un jeu pulsionnel, est pratiquement forcé de s'y identifier.
Pourtant le film reste dualiste. La voix ne coïncide pas avec le corps, elle en est coupée. Quelle que soit la sophistication de la bande-son (et parfois justement à cause de cette sophistication), la synchronisation reste un artefact. Coller ensemble ces deux substances hétérogènes que sont l'image et le son reste et restera toujours une tâche impossible. Par une sonorisation aussi "naturelle" que possible, on arrive à rapprocher la voix et l'image dans le temps, mais l'écart restera toujours irréductible dans l'espace.
Le visible ne pouvant jamais être confondu avec l'audible, la synchronisation voix/corps ressemble plus à un trucage ou à un rituel qu'à une véritable reproduction "réaliste". Le monteur joue sur les distorsions : une voix qui rôde entre le dehors et le dedans de l'écran, une voix "in" qui ne provient pas de l'émetteur, une voix "off" qui est ressentie comme centrale, un bruitage qui contredit ou qui supplante les dialogues, des décalages comiques entre l'image et la bande-son (comme chez Tati), etc... On peut jouer sur n'importe quel élément, à condition qu'au final une histoire (vocale en son contenu) vienne guider le spectateur.
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