- LARISSA : Pour l'aveugle qui cherche à s'orienter, la main remplace le regard. Pour l'orateur qui s'aide du geste en parlant, elle s'ajoute à la voix. Pour celui qui écrit (comme le héros grec Palamède, dont le nom signifie "la paume") elle est un instrument de la parole. Mais dans son propre ouvrage, quand elle fabrique, quand elle dispose, quand elle dessine, quand elle évalue les textures, elle a sa pensée propre, pour laquelle nous n'avons pas de mots. Ce n'est pas moi qui le dis, certains peintres l'ont déjà dit (sans langage). Chez Kokoschka, la ligne de fuite passe par les mains; Hantaï a développé une technique qui confie le soin de fabriquer une peinture à ses mains : le pliage.
- JAMES : Si la main pense, c'est seulement parce qu'elle est en rapport avec la parole. Elle y est soumise, elle la garde.
- LARISSA : Pour la garder, il faut bien qu'elle pense elle aussi. C'est une pensée émotionnelle, plus originaire encore que celle des mots, mais organisée, transmissible. Je soutiens que la pensée des mains surpasse la pensée usuelle. Nue comme le visage, elle se montre à la lumière. Par le toucher, elle accède à des zones obscures. Porteuse d'énigmes, elle fait l'artiste. Se comprenant partout, sautant par-dessus les langues, elle se passe de traduction. Elle peut tout exprimer : l'extase, la curiosité, le plaisir, l'empathie, le refus, la détresse ou l'angoisse. Elle est dessinée, et aussi elle dessine et elle peint. Elle permet de se reconnaître. Ouverte ou fermée, elle préside au partage comme à la bénédiction.
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